La Turquie construit en secret un porte-avions de 285 mètres pour ses drones de combat.
Depuis les cales de l’arsenal d’Istanbul, un géant prend lentement forme. Son nom : MUGEM. Un nom discret pour un projet hors norme. Ce futur porte-avions national turc, long de 285 mètres, sera capable de projeter dans les airs aussi bien des avions de chasse que des drones furtifs. Sa mise à l’eau est prévue entre 2027 et 2028. Et son message est clair : la Turquie ne veut plus dépendre de personne.
Dans une interview télévisée passée inaperçue en Europe, le contre-amiral Erdinç Yetkin a confirmé le lancement du chantier en 2025. Le navire pourrait être livré à la marine turque d’ici 2030. D’ici là, chaque mètre soudé, chaque système embarqué, raconte une nouvelle ambition industrielle.
Ce navire de 60 000 tonnes pourrait bien redessiner les équilibres en Méditerranée orientale.
Lire aussi :
- La Russie possède 54% de la flotte mondiale de ce type de navires qui vont bientôt devenir une arme géopolitique cruciale pour accéder à l’Arctique : les brise-glaces
- La flotte de ce pays fait mieux que rivaliser avec la marine française en Méditerranée grâce à ses 10 frégates high-tech pour lesquelles il aura fallu attendre 20 ans
Le MUGEM turc sera la « terreur de la Méditerranée » avec ses 60 000 tonnes
Le chantier du MUGEM repose sur une logique de blocs préfabriqués. Plusieurs chantiers navals partenaires participent à l’assemblage des “méga-blocs”, une méthode qui permet d’accélérer drastiquement la cadence.
Le pont incliné, sorte de tremplin permettant le décollage sans catapulte, sera prêt dans quelques mois. Cela permettra aux industriels comme TAI ou Baykar d’effectuer les premiers essais d’envol, notamment pour les appareils à décollage court ou les drones VTOL.
Pour donner une idée de l’évolution, voici une comparaison avec le TCG Anadolu, actuel navire amiral :
Caractéristiques | TCG Anadolu | MUGEM |
---|---|---|
Longueur | 230 mètres | 285 mètres |
Déplacement | 27 000 tonnes | 60 000 tonnes |
Capacité aérienne | 35 appareils | 50 appareils |
Le contre-amiral Yetkin l’a affirmé : le MUGEM accueillera le drone Kızılelma, les drones TB-2 et TB-3, l’ANCA-III, mais aussi le chasseur léger Hurjet dans sa version navalisée. Un mélange d’appareils habités et non habités, une première pour une marine non membre du Conseil de sécurité de l’ONU.
Un design optimisé pour l’endurance et la furtivité
Le MUGEM ne sera pas seulement long et large. Il est conçu pour être économe, silencieux, stable. Son étrave, redessinée à partir de simulations hydrodynamiques, permettrait de réduire la consommation de carburant de 1,5 %. Ce n’est pas un chiffre anodin pour un monstre qui parcourra plus de 18 500 kilomètres à vitesse de croisière.
Son système de propulsion repose sur quatre turbines à gaz LM2500, identiques à celles de nombreux destroyers américains. Chaque turbine développe environ 23 MW, pour une vitesse maximale annoncée au-delà de 25 nœuds.
Voici les caractéristiques principales du MUGEM :
Paramètre | Valeur |
---|---|
Longueur | 285 mètres |
Largeur au maître-bau | 72 mètres |
Tirant d’eau | 10,1 mètres |
Déplacement | 60 000 tonnes |
Vitesse maximale | +46 km/h |
Autonomie | 18 520 km |
Équipage | 800 marins |
Capacité aérienne | 20 appareils sur pont, 30 en hangar |
Un système de gestion du combat de type ADVENT sera intégré pour gérer l’ensemble des opérations tactiques.
Trois pistes, aucun catapulte, pour l’instant
Le MUGEM disposera à l’origine d’une architecture simple mais efficace : deux pistes de décollage et une de récupération. Aucun système de catapulte n’est prévu au départ. À la place, une rampe inclinée modulaire permettra le lancement des drones et avions à décollage court.
Des ingénieurs turcs travaillent toutefois à la mise au point d’une catapulte électromagnétique nationale. Celle-ci pourrait être intégrée ultérieurement, ce qui permettrait au MUGEM d’élargir le spectre des aéronefs embarqués, notamment pour intégrer de futurs drones lourds.
Cette modularité est centrale : elle donne à la Turquie une marge d’adaptation sans devoir revoir la structure complète du bâtiment.
Une flotte de combat embarquée en miniature
La force du MUGEM ne réside pas uniquement dans sa taille. C’est un aérodrome armé, capable de déployer des drones d’attaque, des chasseurs légers et des systèmes d’alerte avancée. Voici une liste des aéronefs prévus :
- Hurjet naval : chasseur léger biplace
- ANKA-III : drone de frappe furtif
- Bayraktar KIZILELMA : chasseur sans pilote à réaction
- TB-3 : drone tactique armé à ailes repliables
- TB-2 : version éprouvée pour surveillance et appui
Côté armement, le porte-avions sera doté d’un système VLS vertical à 32 cellules (MIDLAS), capable de lancer des missiles air-air ou sol-air. Il sera également protégé par quatre tourelles CIWS Gökdeniz pour l’interception de missiles de croisière, et six mitrailleuses téléopérées STOP de 25 mm contre les embarcations rapides ou attaques asymétriques.
Un symbole de souveraineté maritime et d’indépendance technologique
Le MUGEM n’est pas un simple projet naval. Il cristallise les ambitions stratégiques d’Ankara : affirmer sa présence navale, maîtriser sa chaîne de production, et offrir un outil de projection à ses appareils les plus avancés.
À l’export, ce programme pourrait séduire. Des pays comme le Qatar, le Pakistan ou même l’Indonésie ont déjà manifesté un intérêt pour les drones navalisés turcs. Disposer d’un porte-avions capable de les déployer change l’équation.
Enfin, le projet s’inscrit dans une série de développements lourds lancés par la Turquie depuis 2020 : frégates ISTIF, corvettes ADA, sous-marins Reis, et désormais porte-avions national. Un ensemble cohérent, pensé comme une architecture complète et évolutive.
Comparatif des plus grands navires de guerre appartenant à des pays méditerranéens
Rang | Pays | Navire / Projet | Type | Longueur (m) | Déplacement (t) | Mise en service prévue |
1 | France | PANG | Porte-avions nucléaire | ≈ 310 | ≈ 75 000 | 2038-2040 |
2 | Turquie | MUGEM | Porte-avions et drones | ≈ 285-300 | ≈ 60 000 (estimé) | 2027-2028 (lancement), <2030 (livraison) |
3 | France | Charles de Gaulle | Porte-avions nucléaire | 261,5 | ≈ 42 000 | 2001 |
4 | Italie | Trieste | LHD / porte-hélicoptères | 245 | ≈ 33 000 | 2022 |
5 | Italie | Cavour | Porte-aéronefs | 244 | ≈ 27 000 | 2009 |
6 | Espagne | Juan Carlos I | LHD | 231 | ≈ 27 000 | 2010 |
7 | Turquie | TCG Anadolu | LHD | 231 | ≈ 27 000 | 2023 |
8 | Égypte | Mistral (x2) | BPC / porte-hélicoptères | 199 | ≈ 21 000 | 2016 |
La France pourrait donc voir son fleuron dépassé pendant quelques années par le futur MUGEM qui, de fait avec 60 000 tonnes, deviendrait le plus grand navire de guerre appartenant à un pays méditerranéen (donc USA et Russie exclus notamment). Il pourrait tenir ce record pendant 10 ans avant que le PANG (Porte-Avions de Nouvelle Génération) français ne prenne le relais à son tour avec ses quelques 75 000 tonnes.
Source : https://www.turkiyetoday.com/nation/turkiye-unveils-details-of-its-national-aircraft-carrier-mugem-3206111
Image : Le porte-avions Charles-de-Gaulle de retour de la mission Clemenceau 21 (2021).
Pas le temps ? Obtenez un résumé de l’article :