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La Russie possède 54% de la flotte mondiale de ce type de navires qui vont bientôt devenir une arme géopolitique cruciale pour accéder à l’Arctique : les brise-glaces

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Guillaume Aigron

Guillaume Aigron

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L’Arctique aux mains de Poutine ? Le monde de demain façonné par les armadas de brise-glaces. Loin d’être une impasse comme c’était le cas depuis des millénaires, l’Arctique est aujourd’hui …

La Russie possède 54% de la flotte mondiale de ce type de navires qui vont bientôt devenir une arme géopolitique cruciale pour accéder à l’Arctique : les brise-glaces

L’Arctique aux mains de Poutine ? Le monde de demain façonné par les armadas de brise-glaces.

Loin d’être une impasse comme c’était le cas depuis des millénaires, l’Arctique est aujourd’hui un raccourci. Pour les cargos, c’est jusqu’à 40 % de distance en moins entre l’Europe et l’Asie via la route maritime du Nord.
Pour les États, c’est un terrain d’opportunités avec à la clé gaz, pétrole, terres rares, fibres optiques sous-marines.

Encore faut-il maitriser les pions de ce jeu d’échecs géopolitique qui se profile : les brise-glaces.

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La Russie possède en 2025 environ 54% de la flotte mondiale de brise-glaces. Elle est ainsi, et de très loin, la première puissance mondiale pour ce genre de navires et ça tombe bien car le pays a des vues très nette sur la route maritime du Nord. Il faut ajouter qu’à ce jour les russes sont également les seuls à maitriser les brise-glaces nucléaires avec 9 actuellement en service.

C’est à Mourmansk que Rosatomflot (société d’état russe) orchestre cette symphonie glaciale à réacteurs nucléaires. La série des Project 22220 en est le cœur. Ces mastodontes aux noms évocateurs : Arktika, Sibir, Ural, Yakutia sont les seuls au monde à pouvoir briser 2,8 mètres de glace sans broncher. Deux réacteurs RITM‑200 de 60 mégawatts chacun, 173 mètres de long, 34 de large, des hélices de 6 mètres, et une autonomie en combustible qui se compte en années.

Washington au rattrapage

Outre-Atlantique, le réveil est rude pour le « meilleur ennemi » de la Russie. Pendant des années, les États-Unis ont sous-estimé le potentiel stratégique de l’Arctique. Aujourd’hui, ils révisent leur copie à marche forcée. Le programme Polar Security Cutter a franchi en avril 2025 une étape décisive avec le lancement de la production du Polar Sentinel, premier modèle de cette nouvelle génération. Livraison prévue autour de 2030.

En attendant, on rafistole. Un ancien brise-glace commercial, l’Aiviq, a été racheté et rebaptisé USCGC Storis. Objectif : maintenir une présence dans le Pacifique Nord dès 2026, avec base à Seattle. Le tout dans un contexte industriel délicat : les États-Unis n’ont pas construit de brise-glace lourd depuis près de 50 ans.

Le Canada se retrousse les manches

Loin des projecteurs, Ottawa trace sa voie. Deux brise-glaces polaires lourds ont été commandés en mars 2025. Le premier sera construit chez Seaspan à Vancouver, le second chez Chantier Davie au Québec. Livraison prévue vers 2030. En parallèle, six autres navires sont aussi dans les cartons pour renforcer la présence à l’Est.

Le Canada, deuxième flotte mondiale en volume, ne cherche pas la démonstration. Il veut l’efficacité : logistique vers les communautés isolées, secours, ravitaillement scientifique, souveraineté arctique.

Montants en jeu : plus de 3,15 milliards de dollars canadiens, soit environ 2,1 milliards d’euros pour un seul des polaires lourds. L’investissement est conséquent, mais il traduit une volonté claire de ne pas laisser le détroit de Lancaster ou la baie de Baffin sans escorte nationale.

le dernier-né des brise-glaces chinois : le Tan Suo San Hao.
Le dernier-né des brise-glaces chinois : le Tan Suo San Hao.

La Chine explore et apprend… en silence

Si l’Empire du Milieu n’a pas encore la puissance, il a la patience. On a récemment vu (aout 2025 au moment de cet article) cinq navires chinois se regrouper entre mer des Tchouktches et mer de Béring. Parmi eux : le Xue Long 2 (122 mètres, classe PC3), le Ji Di (plus compact, classe PC6), et surtout le Tan Suo San Hao, 104 mètres, classe PC4, équipé pour des opérations sous la glace.

Le discours est scientifique. Les actes le sont moins. Ces missions d’exploration cumulent cartographie, enregistrement océanographique, tests de drones etc

L’objectif est limpide : acquérir un savoir-faire polaire, documenter la route du Nord, tester l’endurance des plateformes. La Chine n’est pas une puissance arctique géographique, mais elle entend devenir une puissance arctique fonctionnelle.

Elle peut notamment compter sur son dernier né le Tan Suo San Hao, véritable bijou technologique qui embarque :

  • Systèmes de plongée en eaux profondes
  • Bras robotisés pour forage sous-glace
  • Drones marins et aériens
  • Caméras 4K sous-marines
  • Stations météo mobiles

Ce profil dual, civil et militaire, permet à Pékin d’observer les autres tout en renforçant ses propres capacités.

L’Europe produit, sans faire de bruit

Si la Finlande et la Suède ne paradent pas, elles produisent. Leurs chantiers conçoivent et entretiennent des unités qui tiennent la Baltique en hiver depuis des décennies. Ce savoir‑faire irrigue l’Europe, de la Royaume‑Uni avec le RRS Sir David Attenborough aux opérateurs privés français avec le Commandant Charcot (navire d’expédition PC2 apte aux glaces très épaisses), en passant par l’Astrolabe, petit mais décisif pour la logistique antarctique française. Ce segment européen, techniquement pointu, pèse sur les standards de conception, les aciers, les propulsions, les solutions d’habitabilité en froid extrême. Une chaîne d’excellence discrète, qui ne cherche pas l’affrontement, mais tient les clés industrielles de beaucoup d’équipements polaires civils.

En résumé, il n’est pas stupide de dire que la course à l’Arctique se joue maintenant, entre grandes puissances qui commencent à réaliser le potentiel que pourrait révéler ce grand Nord, autrefois sinistre et gelé, grâce notamment au réchauffement climatique qui le rendrait nettement plus accessible dans quelques décennies. Dans cette partie qui commence, le nombre de brise-glaces polaires dans son camp s’avérera un atout précieux.

Tableau récapitulatif des puissances mondiales du brise-glace en 2025

Pays Nombre approximatif Tonnage cumulé estimé Classes principales Chantiers constructeurs Commentaire stratégique
Russie ≈ 57 (dont 9 nucléaires) ≈ 600 000 t Project 22220 (Arktika II), Taymyr, Yamal, Project 10510 “Leader” (à venir) Baltic Shipyard (Saint-Pétersbourg), Zvezda Maîtrise absolue des routes arctiques grâce aux réacteurs RITM-200 et à une flotte diversifiée. Permet d’escorter des convois lourds toute l’année.
Canada ≈ 18 ≈ 150 000 t Louis S. St-Laurent, Terry Fox, Programme “Polar Icebreaker”, “Program Icebreakers” Seaspan (Vancouver), Chantier Davie (Québec) Deuxième flotte mondiale en nombre, en pleine modernisation. Vise la sécurisation du passage du Nord-Ouest et le soutien aux communautés arctiques.
États-Unis 3 actifs (autres en commande) ≈ 90 000 t Polar Star, Healy, Storis (ex-Aiviq), Polar Security Cutter (PSC) VT Halter Marine / Bollinger, Halter Pascagoula Flotte polaire réduite mais en relance industrielle avec le PSC. Objectif : rétablir une présence continue en Arctique et renforcer la projection antarctique.
Finlande 10–11 ≈ 120 000 t Otso, Kontio, Polaris Arctech Helsinki Shipyard, Meyer Turku Expertise mondiale en construction de brise-glaces civils. Flotte opérationnelle surtout en Baltique mais exporte son savoir-faire à l’international.
Suède ≈ 5 ≈ 45 000 t Atle, Oden, Ale Kockums, Wärtsilä Capacité ciblée sur la Baltique. Coopère avec la Finlande et contribue à maintenir ouvertes les routes maritimes nordiques en hiver.
Danemark 0 Aucune unité propre malgré le Groenland. Dépend de partenariats avec le Canada, les États-Unis et la Norvège pour ses opérations polaires.
Chine ≈ 5 ≈ 75 000 t Xue Long, Xue Long 2, Ji Di, Tan Suo San Hao Jiangnan Shipyard, Guangzhou Shipyard International Nouvel acteur extra-arctique. Déploie des missions coordonnées en Arctique pour acquérir expérience et influence dans le cadre de la “route de la soie polaire”.
Australie 1 ≈ 24 000 t RSV Nuyina Damen Shipyards, Galați (Roumanie) Navire polyvalent pour l’Antarctique, combinant missions logistiques et scientifiques.
Royaume-Uni 1 ≈ 15 000 t RRS Sir David Attenborough Cammell Laird Shiprepairers & Shipbuilders Capacité scientifique avancée en environnement polaire, pas d’ambition militaire dans ce domaine.
France 1 (+ 1 navire de croisière polaire) ≈ 30 000 t Astrolabe, Commandant Charcot (PC2) Piriou, Vard Présence polaire centrée sur la logistique antarctique et l’expédition scientifique haut de gamme, sans rôle militaire affirmé.
Chili 1 (en construction) ≈ 10 000 t Almirante Viel (nouvelle version) ASMAR (Talcuahuano) Renforcement de la présence en Antarctique. Positionne le pays comme acteur régional de la logistique polaire.

Si les statistiques varient selon les catégories (polaire lourd/moyen, océanique/côtier, flotte d’État/navires affrétés). Elles n’annulent pas la tendance : la Russie domine, le Canada s’équipe, les États‑Unis remontent la pente, la Chine s’installe.

Sources :

https://en.wikipedia.org/wiki/Project_22220 — pour un aperçu détaillé de la série russe de brise-glaces nucléaires (Arktika II, Sibir, Ural, Yakutia, etc.)

https://www.canada.ca/en/public-services-procurement/news/2025/03/construction-of-new-polar-icebreakers-for-the-canadian-coast-guard.html — bulletin officiel du gouvernement canadien sur les commandes en cours de brise-glaces polaires lourds

https://www.news.uscg.mil/Press-Releases/Article/4171630/coast-guard-to-begin-full-production-activities-for-polar-security-cutter-hull/ — communiqué des Garde-côtes américains annonçant la production pleine du premier Polar Security Cutter (Polar Sentinel)

Image : Brise-glace Ural à quai au chantier naval de la Baltique, photographié depuis les airs. Saint-Pétersbourg, Russie.

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