En mer de Chine, le HMS Prince of Wales ravitaillé par les Américains : une manœuvre inédite qui illustre un malaise grandissant.
Scène inédite en mer de Chine. Sur tribord du porte-avions britannique HMS Prince of Wales, l’USNS Wally Schirra transfère caisses de munitions, pièces de F-35 et vivres. Sur bâbord, le pétrolier RFA Tidespring envoie ses tuyaux de carburant. Au-dessus, les chasseurs et hélicoptères poursuivent leurs cycles de vol, comme si de rien n’était.
Cette image, aussi impressionnante soit-elle, raconte deux histoires : celle d’une première historique pour un porte-avions britannique de classe Queen Elizabeth, un double ravitaillement, carburant et munitions, tout en maintenant les opérations aériennes, et celle d’une marine contrainte de s’appuyer de plus en plus sur ses alliés pour combler ses propres manques.
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La dépendance logistique, un symptôme du mal britannique sur les mers
Depuis le départ du Prince of Wales du Royaume-Uni en avril, ravitailler en carburant avec le RFA Tidespring est devenu une routine. Pour les munitions et les « solides », pièces mécaniques, nourriture et matériel technique en revanche, la Royal Navy n’a plus de navire logistique pleinement opérationnel.
Le seul bâtiment apte à cette mission, le RFA Fort Victoria, est immobilisé en « extended readiness », un statut qui ressemble fort à une mise à l’écart prolongée, faute de budget pour des réparations lourdes. Résultat : pas de ravitaillement solide en mer sans aide étrangère. L’USNS Wally Schirra, navire américain de classe Lewis and Clark, a donc pris le relais.
Un navire américain pensé pour ce rôle
Conçu pour soutenir des groupes aéronavals et amphibies, le Wally Schirra peut :
- transporter simultanément munitions, vivres et pièces de rechange,
- opérer avec plusieurs navires à la fois,
- transférer du matériel en navigation par mer agitée,
- compléter ses livraisons par hélicoptère.
Ce jour-là, un conteneur en particulier attirait l’œil : un module de soufflante de F-35, essentiel à la disponibilité des chasseurs embarqués. Une preuve concrète que la logistique n’est pas un luxe, mais une condition de survie opérationnelle.
Une chorégraphie à haut risque
Pendant que le Tidespring pompait le carburant à bâbord, le Wally Schirra livrait ses palettes à tribord. Une opération à trois niveaux de complexité :
- Navigation millimétrée à moins de 50 mètres,
- Manutention de charges lourdes compensant le roulis,
- Maintien d’un rythme aérien soutenu sur le pont d’envol.
C’est la première fois qu’un porte-avions britannique de classe QEC combine un double RAS (Replenishment at Sea) avec des opérations aériennes tout en s’appuyant sur un navire allié pour les munitions.
Le contraste avec la Marine nationale
Cet épisode illustre un fait difficile à ignorer : la Royal Navy peine à maintenir certains de ses moyens de soutien au niveau opérationnel. L’absence d’un bâtiment dédié au ravitaillement solide oblige à recourir à des partenaires, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’autonomie stratégique.
À titre de comparaison, la Marine nationale affiche actuellement un taux d’opérabilité supérieur à 80 % pour l’ensemble de sa flotte de combat, grâce à un entretien régulier et une planification capacitaire qui a permis de maintenir en ligne la totalité de ses pétroliers-ravitailleurs et bâtiments logistiques. Les frégates françaises, elles, dépassent même souvent 85 % de disponibilité technique, un chiffre que la Royal Navy peine à atteindre sur ses unités équivalentes.
Le Charles de Gaulle, seul porte-avions français, dispose encore de l’appui complet des bâtiments de commandement et de ravitaillement (BCR) de classe Marne et bientôt des nouveaux Pétroliers Ravitailleurs d’Outre-mer (BRF), capables d’assurer carburant et solides, réduisant ainsi la dépendance à l’égard des alliés.
Un déploiement sous contraintes
Cette coopération logistique s’inscrit dans un déploiement majeur vers le Japon, où le groupe aéronaval britannique rejoindra le JS Kaga et l’USS George Washington pour des manœuvres multi-porte-avions.
Mais l’image reste double : d’un côté, une Royal Navy capable de se projeter loin ; de l’autre, une flotte dont les capacités de soutien se sont érodées au point de dépendre d’alliés pour des opérations basiques de ravitaillement.
Comparaison Royal Navy / Marine nationale sur les capacités de ravitaillement
Marine | Navires logistiques en service | Capacité RAS carburant | Capacité RAS solides | Taux d’opérabilité flotte de combat |
---|---|---|---|---|
Royal Navy | RFA Tidespring, 3 autres pétroliers ; aucun navire solide en ligne | Oui | Non (recours allié) | ~70 % |
Marine nationale | 3 BCR / BRF + pétroliers spécialisés | Oui | Oui | >80 % (frégates >85 %) |
Source : https://www.navylookout.com/us-navy-steps-in-to-support-royal-navy-with-solid-stores-replenishment/
Image :
Fleuron de la flotte et plus récent porte-avions britannique, le HMS Prince of Wales et ses 65 000 tonnes.
Le Prince of Wales est seulement le deuxième navire au monde, après le HMS Queen Elizabeth, à avoir été construit depuis la coque dans le but spécifique d’opérer le chasseur de cinquième génération F-35B Lightning II Joint Strike Fighter. Il sort de chantier deux ans après son sister-ship, le HMS Queen Elizabeth.