Pourquoi les batteries pourraient bientôt défier les sous-marins nucléaires.
Pendant des décennies, la hiérarchie sous-marine semblait immuable : au sommet, les sous-marins nucléaires ; en dessous, les conventionnels.
Mais une bascule technologique, longtemps sous-estimée, vient bousculer cet ordre depuis quelques années : l’avènement des batteries lithium-ion, puis des batteries à électrolyte solide.
Un pays surtout, donne un aperçu très concret de ce que sera le sous-marin non nucléaire ultra-endurant du futur : le Japon, avec sa classe Taigei. Même si comme nous allons le voir, la France et l’Allemagne ne sont pas en reste dans ce domaine.
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La montée en puissance des batteries lithium-ion dans les sous-marins annonce-t-elle le début de la fin du nucléaire comme source d’énergie des armes les plus puissantes de la planète ?
Lorsque Tokyo a décidé de remplacer le AIP par du tout-batterie lithium-ion sur ses sous-marins de nouvelle génération, beaucoup d’experts ont parlé d’audace.
Aujourd’hui, c’est devenu un standard en devenir.
L’Allemagne (TKMS), puis la France avec ses Scorpène de nouvelle génération, ont adopté cette solution.
Pourquoi ? Parce que le lithium-ion apporte :
- une densité énergétique bien supérieure aux batteries plomb-acide,
- une vitesse soutenue bien plus élevée,
- une signature acoustique exceptionnellement basse,
- un temps de recharge nettement réduit.
Mais ce n’est que l’étape intermédiaire.
Le véritable bond en avant arrivera avec la batterie à électrolyte solide, plus légère, plus dense, plus sûre donc installable en plus grand nombre.
Le Japon en éclaireur : le lancement du JS Sogei confirme la stratégie
En octobre 2025, le Japon a lancé son sixième sous-marin Taigei, le JS Sogei (SS-518), un concentré de technologies qui montre le potentiel réel du tout-électrique.
Le Sogei, comme ses prédécesseurs :
- déplace 3 000 tonnes,
- mesure 84 mètres,
- embarque six tubes de 533 mm,
- utilise une propulsion 100 % lithium-ion,
- atteint environ 20 nœuds en plongée,
- grâce à un système énergétique de nouvelle génération.
Ses nouveaux moteurs diesel 12V25/31 à haut rendement, associés à un snorkel (ou tube d’air) optimisé, réduisent drastiquement le temps passé en faible immersion pour recharger, le point faible historique des sous-marins conventionnels.
Côté capteurs, la classe Taigei intègre la suite sonar ZQQ-8, des mâts discrétionnels, des flancs et antennes remorquées, le tout associé aux torpilles Type 18 et aux missiles Harpoon.
Résultat :
un sous-marin taillé pour une guerre en sprints et en dérive, capable de se précipiter vers une zone (sprint), puis de disparaître totalement (en dérive ou drift), en silence absolu.
La classe Taigei montre jusqu’où peut aller le lithium-ion
À la différence des sous-marins chinois Yuan (AIP) ou coréens KSS-III (AIP + VLS), les Taigei misent tout sur :
- la vitesse soutenue,
- la recharge ultra-optimisée,
- la disponibilité tactique,
- la discrétion totale.
Cette philosophie opérationnelle, déjà éprouvée en Mer de Chine orientale et dans la zone des Ryukyu, démontre que le lithium-ion permet d’atteindre des performances autrefois réservées au nucléaire, sauf pour la durée totale d’immersion.
Mais c’est là que les batteries tout-solide pourrait apporter leur aide.
Batterie tout-solide : l’étape où les sous-marins non nucléaires deviennent réellement compétitifs
Les batteries tout-solide ou « à électrolyte solide » offrent :
- un poids réduit,
- une densité énergétique doublée ou triplée,
- une meilleure sécurité thermique,
- une capacité de charge plus rapide,
- une puissance instantanée plus élevée.
Appliqué à une plate-forme comme Scorpène ou Taigei, cela conduit à des performances inédites :
| Caractéristique | Lithium-ion actuel | tout-solide estimé | Propulsion nucléaire |
| Vitesse soutenue | 7–10 nœuds | 10–15 nœuds | 20–25 nœuds (quasi illimitée dans le temps) |
| Endurance | 60–80 jours | 120–160 jours | Plusieurs années (limitée par l’équipage et la maintenance) |
| Autonomie | 20 000–25 000 km | 40 000–50 000 km | Pratiquement illimitée |
| Temps de recharge / ravitaillement | ~1 h | < 1 h grâce à la puissance admissible | Aucun (rechargement du cœur tous les 10–15 ans selon réacteur) |
Naval Group a déjà vendu à l’Indonésie une version du Scorpène capable de rester 80 jours en immersion contrôlée avec du lithium-ion.
En tout-solide, ce chiffre pourrait plus que doubler !
« Le nucléaire peut rester sous l’eau des années » : un argument moins décisif qu’avant
C’est vrai : un sous-marin nucléaire n’a pas de limite énergétique.
Mais son équipage, si !
Même les SNA doivent :
- remonter pour la logistique,
- renouveler les vivres,
- faire de la maintenance,
- maintenir le moral et la rotation de l’équipage.
Autrement dit, 60 à 120 jours d’immersion opérationnelle suffisent déjà pour couvrir n’importe quel cycle tactique réaliste.
Et dans ce cadre, un SSK tout-solide offrirait :
- une signature acoustique bien inférieure à celle d’un SNA,
- un coût d’acquisition divisé par 5,
- un coût à l’heure de mer divisé par 10,
- une vitesse suffisante pour la plupart des opérations littorales et océaniques.
L’écart stratégique se réduit.
Les concurrents : TKMS, Mitsubishi et DSME dans la même course
TKMS (Allemagne)
Avec les futurs Type 212CD et 216, l’industriel allemand investit lourdement dans :
- les batteries lithium-ion haute densité,
- le remplacement progressif de l’AIP,
- des architectures énergétiques hybrides.
TKMS vise la vitesse soutenue, tout en conservant une signature sonar ultra-faible, un domaine où les Allemands excellent déjà.
Mitsubishi Heavy Industries & Kawasaki Heavy Industries (Japon)
Le Japon est le pionnier mondial du lithium-ion naval :
les classes Oryu et Taigei sont les premières au monde à abandonner totalement le plomb-acide et l’AIP.
Tokyo travaille déjà sur :
- les batteries tout-solide,
- des architectures énergétiques compactes,
- des systèmes de recharge à très haute puissance.
Les Taigei sont la preuve vivante que la technologie est mature.
DSME / Hanwha Ocean (Corée du Sud)
La Corée du Sud mise sur :
- les batteries coréennes haute densité,
- une intégration future tout-solide sur les KSS-III,
- une propulsion électrique plus puissante.
Le Batch III prévoit d’aller au-delà du lithium-ion, avec l’objectif d’atteindre les plus hautes vitesses soutenues en Asie pour un SSK.

Résumé sur les quatre grandes technologies sous-marines :
| Technologie | Atout principal | Faiblesse | Coût | Usages typiques |
| Plomb-acide + AIP | Extrême discrétion à basse vitesse | Très lent, faible puissance | Faible | Défense littorale |
| Lithium-ion | Haute vitesse + endurance prolongée | Temps de recharge critique | Moyen | Chasse sous-marine, patrouille océanique |
| tout-solide (tout-solide) | Endurance x2, vitesse x3, sécurité accrue | Coût encore élevé | Moyen | Missions lointaines, équivalent “SNA low-cost” |
| Nucléaire | Puissance illimitée, vitesse max | Signature + coût massif | Très élevé | Projections stratégiques |
Sources :
- Naval News, Japan launches sixth Taigei-class submarine JS Sogei for JMSDF — 02/10/2025
https://www.navalnews.com/naval-news/2025/10/japan-launches-sixth-taigei-class-submarine-for-jmsdf/ - Naval-Technology, Indonesia bolsters naval power with submarine deal — 2025
https://www.naval-technology.com/newsletters/indonesia-bolsters-naval-power-with-submarine-deal/ - Asian Military Review, Naval Group scores Scorpene Evolved submarine deal with Indonesia — 04/04/2024
https://www.asianmilitaryreview.com/2024/04/naval-group-scores-scorpene-evolved-submarine-deal-with-indonesia/ - Meta-Defense, TKMS wants to switch to lithium-ion batteries using French tech — 26/09/2024
https://meta-defense.fr/en/2024/09/26/tkms-batteries-lithium-ion-type-212a/
Image de mise en avant : Un sous-marin de classe Scorpène (crédit : Naval Group)