Le constat est accablant : les programmes d’armement américains accumulent les retards, les surcoûts et les abandons. Pendant ce temps, la Chine livre à la chaîne navires, missiles et drones, et l’Allemagne s’arme de technologies israéliennes pour se protéger d’une frappe nucléaire.
L’Europe pourrait payer le prix fort d’une armée américaine en perte de vitesse. Le Pentagone dépense plus que tous ses alliés réunis, mais n’arrive plus à sortir des armes fiables dans les temps. Pendant ce temps, le Kremlin et Beijing avancent leurs pions. Les défaillances de Washington remettent en cause la défense commune.
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Désillusions à la chaîne dans les grands programmes
Depuis vingt ans, les grands projets d’équipements militaires américains se transforment en gouffres financiers. Le « combat vehicle » M10 Booker, prévu pour appuyer l’infanterie légère, a coûté plus d’1,1 milliard d’euros pour une production finalement suspendue dès 2025. Poids trop élevé, transport impossible par avion, redondance avec des chars existants : l’engin a été recalé avant même d’entrer en service. Les chiffres du GAO (le bureau des comptes publics américain) parlent d’eux-mêmes : près de 46 milliards d’euros de surcoûts et une moyenne de 12 ans entre le lancement d’un projet et la mise en service. Une lenteur que ne peut plus se permettre une superpuissance engagée dans une guerre froide technologique.
Des navires qui coulent sur plan
Le destroyer Zumwalt, au design futuriste, devait remplacer les vieilles coques de l’US Navy. Résultat : seulement trois exemplaires livrés au lieu des 32 prévus, pour un coût total de 24,5 milliards d’euros, soit plus de 8 milliards par navire. Ses canons high-tech ? Inutilisables : les obus à 920 000 € pièce ont été abandonnés. Plus grave encore, le Littoral Combat Ship (LCS), pensé pour la guerre côtière, est aujourd’hui surnommé « Little Crappy Ship » par les marins eux-mêmes. Pannes à répétition, structure fragile, coûts explosifs… Le programme, censé être bon marché, va coûter plus de 55 milliards d’euros d’ici 2030.
Frégate-frankenstein et années de retard
Après le fiasco du LCS, l’US Navy lance le programme de frégates Constellation en 2020, basé sur le design italien des FREMM. Mais à force de modifications imposées par le Pentagone, seulement 15 % du design original a survécu. Le coût unitaire est passé de 800 à 1,4 milliard d’euros, et le premier exemplaire n’est toujours pas en mer. Le chantier naval Fincantieri à Marinette (Wisconsin) peine à suivre, alors que la Chine met à l’eau 20 fois plus de frégates par an. Cette inertie menace l’équilibre naval en Indo-Pacifique, où le temps joue contre Washington.

Une industrie à bout de souffle
Ces retards révèlent un mal profond : le tissu industriel défense américain est sous-dimensionné. La fin de la guerre froide a laissé place à une concentration extrême : seuls quelques géants comme Lockheed Martin, Boeing, Raytheonou General Dynamics se partagent les appels d’offres. Résultat : sous-traitance chaotique, manque de main-d’œuvre qualifiée, pièces détériorées… Les cas s’accumulent, comme ce lot de missiles Patriot livrés avec des soudures défectueuses. L’urgence serait de relocaliser, mais personne ne veut payer la note.
La Chine et la Russie en embuscade
Pendant que l’Amérique doute, la Chine construit plus de navires de guerre par an que l’OTAN tout entière. En 2024, elle a mis à l’eau 11 destroyers, 4 porte-hélicoptères et plus de 60 drones navals. La Russie, elle, compense son retard par des missiles hypersoniques ou des drones kamikazes à bas prix fournis par l’Iran. Moscou et Beijing ont bien compris que l’avantage se jouait sur la vitesse de production. Leurs chantiers tournent sans pause, alors que les négociations du Pentagone sur un nouveau char prennent parfois plus de 10 ans.

L’OTAN européenne à la croisee des chemins
Pour les alliés européens, ces difficultés posent un vrai problème. L’OTAN repose largement sur la puissance industrielle américaine. Si cette dernière faiblit, qui prendra le relais ? L’Allemagne, par exemple, mise désormais sur le bouclier spatial Arrow 3, conçu avec Israël, pour intercepter des missiles balistiques dès 2026. Un projet à 4 milliards d’euros que la France, elle, n’a pas souhaité rejoindre. Pendant que Berlin structure une vraie autonomie antimissile, Paris s’enferme dans une stratégie nucléaire héritée de la guerre froide, sans réponse crédible face à un hypersonique. Un décalage qui inquiète jusqu’à Bruxelles.
Une réforme qui n’arrive jamais
Tous les experts le répètent : il faut simplifier le système d’acquisition américain. Trop d’échelons, trop de délais, trop de révisions en cours de route. Le Congrès demande une refonte depuis 2009, mais rien ne bouge. Les élections successives figent les dossiers, et le Pentagone craint de perdre le contrôle en ouvrant la compétition. Faute de mieux, on bricole. Le vieux chasseur F-16 reprend du service, les chars Abrams sont modernisés à la marge, et les marines recyclent les vétustes navires de la guerre du Golfe. Une rustine technologique face à des menaces du XXIe siècle.
Source : NSJ