Frégates, radars et diplomatie : la guerre commerciale entre la France et le Royaume-Uni pour la flotte suédoise
La Suède s’apprête à choisir les futures frégates de sa marine. Quatre unités, rien de moins, pour un programme baptisé « classe Luleå », destiné à remplacer les actuelles corvettes Visby, trop limitées pour répondre aux exigences de l’OTAN.
Cette fois, la Suède n’exclut pas une solution venue de l’étranger. Deux puissances européennes avancent leurs pions. D’un côté, la France mise sur sa Frégate de défense et d’intervention (FDI), la toute récente classe Ronarc’h. De l’autre, le Royaume-Uni pousse l’Arrowhead-140, version export de la Type 31. Les dés ne sont pas jetés, mais la partie se joue désormais à armes presque égales.
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La FDI française l’emportera-t-elle sur l’Arrowhead-140 britannique ?
Si la Suède regarde la France, ce n’est pas un hasard. Les deux pays coopèrent déjà étroitement : dans la lutte antichar (missiles Akeron MP et NLAW), dans la frappe longue portée (initiative européenne ELSA), et même dans la guerre navale côtière, avec le prêt par Stockholm de vedettes rapides CB90 à la Marine nationale.
La confiance est là. La frégate Amiral Ronarc’h, livrée à la Marine française en octobre 2025, fera escale à Göteborg début 2026, comme un signal très clair envoyé à l’état-major suédois. En parallèle, Paris a officialisé son intention d’acheter deux avions de détection GlobalEye à Saab, en remplacement de ses vieillissants E-3F AWACS. De quoi rappeler que dans cette histoire, on ne vend pas qu’un navire : on construit une relation.
Un contrat à plusieurs milliards d’euros en jeu
Derrière cette compétition navale « amicale », l’enjeu industriel est massif. Le programme suédois « Luleå » prévoit l’acquisition de quatre frégates de premier rang, entièrement équipées et armées, livrables entre 2030 et 2035. Selon les estimations de plusieurs experts du secteur, le coût unitaire pourrait osciller entre 700 et 900 millions d’euros par navire, en fonction du niveau d’armement, du degré d’intégration industrielle locale et des options retenues.
Le contrat global approcherait, voire dépasserait donc les 3 milliards d’euros, une somme qui placerait ce projet parmi les plus importants appels d’offres européens de la décennie dans le domaine naval. Pour Naval Group, ce serait la première vente de FDI à un pays nordique et une revanche indirecte après la perte du marché norvégien au profit des Britanniques. Pour la Suède, c’est un investissement structurant sur plusieurs décennies, qui pèsera sur toute sa posture navale, industrielle et diplomatique jusqu’au milieu du siècle.
La carte maîtresse française : les délais
Face à un client exigeant, qui souhaite deux frégates opérationnelles d’ici 2030, Naval Group fait valoir un argument très simple : la FDI est déjà en production. La tête de série française est livrée, la première unité grecque (la FDI Kimon) est en finition, et les chaînes de production tournent déjà.
La ministre des Armées, Catherine Vautrin, l’a dit sans détour :
« Nous pourrions livrer une frégate en 2030, entièrement équipée, y compris les mesures de défense, et bien sûr, nous proposons un partenariat avec l’industrie suédoise, en particulier Saab »
Avec missiles, capteurs, hélicoptère et tous les systèmes de guerre électronique nécessaires. Une promesse réaliste, quand on connaît les retards pris par les Britanniques sur la Type 31, dont la HMS Venturer ne sera pas prête avant 2027.
Pour Stockholm, le respect des délais n’est pas un détail. Il conditionne l’intégration de la Suède à la bulle de défense aérienne de l’OTAN, à laquelle le pays souhaite pleinement contribuer avant 2030.
Une offre modulaire et made in Europe
Naval Group ne se contente pas de vendre un bateau. Il propose une offre industrielle complète, avec des briques technologiques déjà éprouvées. La FDI embarque :
- Le radar Sea Fire à antenne active, conçu pour traquer les menaces aériennes rapides, missiles ou drones.
- Le sonar de coque KingKlip Mk2 et le sonar remorqué CAPTAS-4, capables de détecter les sous-marins dans les fjords comme en haute mer.
- Le système SENTINEL de guerre électronique, pour brouiller ou leurrer les senseurs ennemis.
- Le système de communication navale Aquilon, interopérable avec les normes OTAN.
- Une suite d’armes complètes : missiles Aster 15/30 (défense aérienne), Exocet (antibateau), MU-90 (torpilles anti-sous-marines), canon de 76 mm, canons téléopérés de 20 mm et drones aériens.
Chaque brique est modulaire, configurable selon les besoins spécifiques de la marine suédoise. Et Naval Group propose d’associer les industriels locaux, notamment Saab, à la construction ou à l’intégration. Une logique de coproduction et de transfert de compétences, très différente d’une vente « clé en main ».
Le piège danois : quand la Type 31 brouille les cartes
Toutefois, les Anglais ne sont pas hors jeu. Le constructeur britannique Babcock pousse sa frégate Arrowhead-140, dérivée des navires danois Iver Huitfeldt, en partenariat avec Saab Kockums. Une proposition qui joue sur la proximité culturelle, industrielle et géographique avec les pays nordiques.
Le souci ? Le programme britannique accuse déjà du retard. Et l’Arrowhead n’est pas encore construite en série. Son orientation est plus “polyvalente économique” que centrée sur la défense aérienne pure, ce qui pourrait ne pas cocher toutes les cases pour la Suède.
Autre incertitude : le poids politique du Danemark. Si Copenhague optait aussi pour la Type 31, cela pourrait influencer Stockholm, dans une logique de mutualisation ou d’harmonisation régionale.
Tableau comparatif des offres pour la Suède :
| Critère | FDI (France) | Arrowhead-140 (UK) |
|---|---|---|
| Longueur | 122 mètres | 138,7 mètres |
| Déplacement | ≈ 4 500 tonnes | ≈ 5 700 tonnes |
| Radar principal | Thales Sea Fire AESA | Thales NS100 (selon intégration) |
| Capacité anti-aérienne | 16–32 Aster 15/30 | 32 Sea Ceptor (CAMM) |
| Sonar remorqué | CAPTAS-4 | Optionnel |
| Livraison possible | Frégate opérationnelle dès 2030 | À partir de 2031–2032 |
| Partenariat industriel | Oui, avec Saab | Oui, via Saab Kockums |
| Interopérabilité OTAN | Totale (format OTAN natif) | Totale |
| État du programme | Navire livré, série en cours | Prototype en construction |
Source : https://www.defensenews.com/global/europe/2025/11/24/sweden-sees-frigate-decision-early-next-year-as-france-touts-2030-date/