Le Japon réarme en silence : un budget militaire historique pour un archipel sous tension
C’est un chiffre qui donne le vertige. Le 29 août 2025, Tokyo a présenté une demande de budget militaire record : 60,2 milliards de dollars, soit près de 55,3 milliards d’euros. Du jamais-vu dans l’histoire du pays depuis 1945. L’objectif est clair : préparer une armée du XXIe siècle capable de répondre à toutes les menaces : De Pyongyang à Pékin, en passant par Moscou.
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Le Japon présente un budget dédié à l’armée inédit depuis 80 ans avec plus de 55 milliards d’euros pour 2025
La première ligne de ce réarmement massif s’appelle SHIELD. Une architecture côtière synchronisée, automatisée, pilotée à distance. L’acronyme “Synchronized, Hybrid, Integrated and Enhanced Littoral Defense” (en français : Défense littorale synchronisée, hybride, intégrée et renforcée) donne le ton : le Japon veut couvrir ses 29 751 kilomètres de côtes avec un rideau de capteurs, de drones et d’intercepteurs.
Le budget de ce projet pour 2026 dépasse 800 millions d’euros. Il prévoit :
- Des drones aériens de frappe, lancés depuis des frégates
- Des drones de surveillance embarqués
- Des drones de surface polyvalents (USV)
- Une flotte pilotée à distance intégrée aux frégates de nouvelle génération
La marine japonaise a déjà validé l’intégration du drone américain V-BAT, fabriqué par Shield AI, sur ses futures patrouilleurs de 1 900 tonnes. Le ministère prévoit l’achat de 6 systèmes V-BAT dès 2025. S’y ajoutent les drones turcs Bayraktar TB2, pour environ 5 millions d’euros pièce, et des MQ-9B SeaGuardian plus lourds, utilisés pour la surveillance de longue portée.
Le Japon prépare même des essais de coordination simultanée de tous ces engins. Montant réservé à cette expérimentation : 15 millions d’euros.
Une frégate mieux armée que ses sœurs aînées
Autre ligne de dépense : la construction d’un nouveau modèle de frégate multi-rôles, le “New FFM”, dérivé de la classe Mogami. Un seul bâtiment sera commandé cette année, pour un coût de 713,9 millions d’euros.
Ce modèle disposera d’un allongement de coque, d’une capacité d’armement accrue et d’une meilleure polyvalence anti-sous-marine. Il pourra embarquer davantage de missiles, notamment le Type 12 nouvelle génération, le Type 17 antinavires, et deux nouveaux missiles surface-air : l’“NSAM” et l’“A-SAM”.
La capacité de tir vertical (Mk.41 VLS) passera de 16 à 32 cellules. Un doublement qui traduit une volonté de puissance et d’autonomie stratégique.
Cette frégate représente aussi un enjeu diplomatique : le modèle a été sélectionné en août 2025 par l’Australie pour équiper sa propre marine. Une coopération entre Tokyo et Canberra est donc en germe.
Des destroyers Aegis pour remplacer un système terrestre abandonné
L’autre priorité est venue d’un échec : l’annulation en 2020 du système terrestre Aegis Ashore, jugé trop risqué pour les populations. En réponse, le Japon finance deux navires Aegis de nouvelle génération ASEV pour un budget de 545,5 millions d’euros.
Ces bâtiments auront une longueur de 190 mètres, une largeur de 25 mètres et un déplacement de plus de 16 000 tonnes, soit plus que les destroyers américains Zumwalt ou les croiseurs chinois de classe Nanchang.
Les tests débuteront en 2026. Les livraisons sont prévues en 2027 et 2028.
Ces plateformes intégreront le radar AN/SPY-7(V)1 de Lockheed Martin, fabriqué sous licence avec le japonais Fujitsu. Un monstre de détection prévu pour intercepter des missiles balistiques, voire hypersoniques.
Des porte-hélicoptères transformés en porte-avions pour F-35B
Deux porte-hélicoptères de classe Izumo: le JS Izumo et le JS Kaga, sont en cours de transformation pour accueillir des F-35B à décollage vertical. Le coût de cette transformation atteint 195 millions d’euros pour l’année 2026.
Détail symbolique : des feux d’état de pont vont être installés sur le JS Izumo, afin de synchroniser les mouvements de pont d’envol avec les systèmes du F-35B. Le JS Kaga, lui, recevra un renforcement structurel de son hangar.
Un budget de 650 000 euros est également dédié à l’analyse des retours d’expérience. Ce retour d’expérience préparera la suite : un vrai porte-avions japonais de génération future ?
Des sous-marins et des missiles en embuscade
Le Japon poursuit également sa stratégie de dissuasion sous-marine. En 2026, Tokyo prévoit :
- La construction du 10e sous-marin Taigei (3 000 tonnes, propulsion diesel-électrique) : 816 millions d’euros
- L’acquisition de missiles longue portée à lancement sous-marin : 110,2 millions d’euros
- L’achat de la version améliorée du missile Type 12 SSM : 246,4 millions d’euros
Le missile sous-marin est pensé comme une capacité de frappe en profondeur, tant contre des navires que contre des infrastructures terrestres ennemies. Il pourra être lancé depuis un tube lance-torpille classique.
Ces équipements seront installés sur les nouveaux sous-marins de la classe Taigei, livrés d’ici 2027.
Mines, Tomahawk, et co-développement hypersonique avec Washington
En marge des grandes lignes, le Japon prépare le futur à tous les étages. En voici une synthèse :
Projet | Dépense 2026 | Détail |
---|---|---|
Deux patrouilleurs | 195 millions € | 1 900 tonnes, surveillance maritime |
Ajout du Tomahawk sur deux destroyers | 11,6 millions € | JS Myoko et JS Atago |
Minesweeper Awaji-class | 232,8 millions € | 7e bâtiment, 690 tonnes |
Co-développement GPI | 378,6 millions € | Avec les États-Unis, pour contrer les missiles hypersoniques |
Concernant le projet GPI (Glide Phase Interceptor), la répartition des tâches est stratégique : Mitsubishi Heavy Industries développe le moteur de deuxième étage et les systèmes de guidage. L’armée américaine prend en charge l’enveloppe externe, le guidage global et l’intégration système.
Livraison prévue : dans la décennie 2030.
Top 10 des budgets militaires dans le monde en 2024
Rang | Pays | Dépenses militaires 2024 (en milliards d’euros) |
1 | États-Unis | ≈ 872 |
2 | Chine | ≈ 275 |
3 | Russie | ≈ 130 |
4 | Allemagne | ≈ 77,4 |
5 | Inde | ≈ 75,3 |
6 | Royaume-Uni | ≈ 71,6 |
7 | Arabie saoudite | ≈ 70,3 |
8 | Ukraine | ≈ 56,6 |
9 | France | ≈ 56,6 |
10 | Japon | ≈ 48,4 |
Source : SIPRI Publications, Trends in World Military Expenditure, 2024
Longtemps derrière la France, le Japon comble désormais son retard. Avec 55,3 milliards d’euros demandés pour 2025, Tokyo n’est plus qu’à quelques encablures des 56,6 milliards d’euros du budget français recensés en 2024. La trajectoire est claire : si Paris a toujours revendiqué un rôle de premier plan en Europe et au sein de l’OTAN, l’archipel asiatique accélère son effort de défense à un rythme inédit depuis 80 ans. pour se préparer au pire dans une partie du monde où les tensions sont croissantes, en particulier avec l’Empire du Milieu.
Une question demeure : à ce rythme-là, la France sera-t-elle encore dans le top 10 des plus grandes armées du monde (en termes de budget) d’ici 10 ans ?
Image : Le porte-hélicoptères JMSDF CVH JS Izumo
Source : https://mainichi.jp/english/articles/20250829/p2g/00m/0na/044000c
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