Comment Safran et ICEYE veulent révolutionner le renseignement militaire depuis l’espace.
Un accord vient d’être signé entre deux géants de la haute technologie européenne : ICEYE, fleuron finlandais du radar orbital, et Safran.AI, la branche d’intelligence artificielle du groupe français. À première vue, une simple coopération industrielle mais en coulisse, c’est une réorganisation complète du renseignement géospatial qui se profile. Avec, à la clef, un objectif partagé : offrir aux gouvernements un oeil omniprésent, jour et nuit, par tous les temps, et qui analyse plus vite qu’un humain. À l’intersection entre les satellites radars, les algorithmes et la guerre moderne, cette alliance marque un tournant. Le renseignement n’attendra plus l’interprétation d’un analyste. Il viendra directement de l’image.
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Quand l’IA se branche sur les radars
Toute l’alliance repose sur un outil encore peu connu du grand public, mais redoutable : le radar à synthèse d’ouverture, ou SAR (Synthetic Aperture Radar). Contrairement aux satellites optiques, ces instruments n’ont besoin d’aucune lumière pour fonctionner, Ils émettent leurs propres ondes radar pour une image nette, précise, et surtout… ininterrompue. ICEYE, fondée en 2014, opère la plus grande constellation commerciale de satellites SAR au monde. Ses capteurs sont capables de produire des images avec une résolution de 25 centimètres, assez pour repérer un blindé camouflé ou une embarcation rapide en mer. Surtout, cette constellation est conçue pour livrer ses clichés en quelques heures, et non plus en jours comme c’était le cas auparavant. Mais l’image brute ne suffit plus.
Safran.AI apporte ici son savoir-faire : l’analyse automatique, instantanée, de ces données visuelles. Grâce à des algorithmes entraînés sur des millions de scénarios militaires, l’IA est capable de repérer, classifier et alerter, sans qu’aucun humain n’ait encore regardé l’image.
Un cycle de renseignement réduit à la minute
Dans les opérations modernes, chaque minute compte. Ce partenariat vise précisément à gagner du temps. Beaucoup de temps. Grâce à la fusion des images radar et électro-optiques (issues d’autres satellites ou de capteurs aériens), l’intelligence artificielle multimodale développée par Safran pourra croiser les sources, comparer les images, détecter les anomalies.
Une colonne de véhicules non identifiée sur une route déserte ? Un changement suspect sur une piste d’aéroport ? L’algorithme déclenche une alerte, classe le risque, et peut même orienter un drone pour vérification.
Une guerre qui ne dort jamais
L’intérêt de ces technologies est évident pour les armées. Dans un contexte géopolitique marqué par la surveillance des mers, des frontières ou des zones contestées, la surveillance continue devient un besoin vital. L’accord ICEYE–Safran vise précisément ces zones : flottes navales en mouvement, manoeuvres militaires proches d’un territoire, déplacements clandestins de véhicules, constructions illégales ou déploiements d’armements. Avec des satellites capables de revisiter la même zone plusieurs fois par jour, et une IA qui peut détecter la moindre modification de pixel, les gouvernements disposeront d’une sorte de mémoire visuelle automatique. Une surveillance permanente, indétectable, inaltérable.
Cette capacité n’est désormais plus réservée aux seules grandes puissances. Grâce à ce partenariat, les États qui ne disposent pas de satellites militaires pourront louer l’œil et le cerveau.
Des applications bien au-delà du champ de bataille
Safran insiste sur un point : ces technologies ne sont pas limitées à la défense. La surveillance de catastrophes naturelles, le suivi des glissements de terrain, la détection d’inondations ou d’incendies, ou encore la surveillance maritime en cas de pollution ou de trafic illégal, sont autant de domaines où cette combinaison radar–IA peut s’appliquer. De plus, la France, qui cherche à renforcer sa souveraineté numérique et technologique, voit dans cette collaboration une alternative aux dépendances américaines ou israéliennes en matière d’imagerie militaire.
Les satellites d’ICEYE, bien que finlandais, s’insèrent dans un écosystème européen compatible avec les normes OTAN. Safran, déjà fournisseur de technologies de liaison sol-espace pour ICEYE, renforce ainsi sa position dans la chaîne de valeur complète : de la prise d’image à l’exploitation en temps réel.
Deux visions, un objectif : l’autonomie
Derrière ce partenariat, une idée centrale revient : l’autonomie stratégique. ICEYE, de son côté, cherche à s’affranchir de la domination américaine sur le marché des services d’observation. Safran veut offrir à ses clients, européens ou non, une solution qui ne passe plus par des plateformes extraterritoriales.
Ce partenariat, s’il tient ses promesses, pourrait transformer la manière dont les gouvernements gèrent la surveillance et le renseignement. Il ne s’agit plus de commander une image à une agence, de l’attendre, puis de la traiter. Il s’agit d’avoir un système complet, intégré, qui réagit seul, analyse, interprète, et alerte. Un satellite qui voit. Une IA qui comprend. Et des décisions qui tombent en quelques minutes.
Une alliance franco-finlandaise en orbite
En pleine montée des tensions internationales, cette coopération entre Paris et Helsinki prend une valeur stratégique inattendue. Car elle permet de développer une capacité d’analyse indépendante, interopérable mais souveraine, sans dépendre des mastodontes américains ou chinois. Dans un monde où l’information est une arme, savoir d’où elle vient, qui la traite et à quelle vitesse elle est disponible, devient une question de sécurité nationale. Ce que Safran et ICEYE proposent ici, c’est une réponse technologique à un besoin politique.
Et dans cette guerre de l’invisible, ce ne sont plus les missiles qui parlent les premiers. Mais les pixels.
Source : Safran & ICEYE