Le parrain des drones turcs se lance dans le nucléaire : Baykar entre en scène avec un mini-réacteur.
À Istanbul, les hangars de Baykar étaient jusqu’ici remplis de drones prêts à prendre leur envol, mais une autre technologie s’apprêtent bientôt à les côtoyer. Le géant turc de l’armement, célèbre pour ses Bayraktar TB2 vient en effet d’annoncer un virage inattendu en se lançant dans la course mondiale aux petits réacteurs nucléaires modulaires.
Lire aussi :
- Ce géant de l’armement français prend les choses en main pour son pays et lui permet de rattraper son retard dans le laser à cascade quantique
- Le Royaume-Uni a décidé de reprendre son industrie de l’armement en main et va injecter 1,7 milliards d’euros pour retrouver une production intensive d’explosif
Que diable vient faire un constructeur turc de drones sur le marché des SMRs ?
Baykar est le premier exportateur turc de défense, avec plus de 30 clients internationaux. Son drone vedette, le Bayraktar TB2, a été massivement utilisé dans les conflits en Libye, Syrie, Ukraine et Haut-Karabagh, où il a démontré une efficacité médiatique et militaire sans précédent. Le TB2 est désormais devenu une référence dans la catégorie des drones MALE (altitude moyenne, longue endurance), concurrençant directement les Heron israéliens et les Wing Loong chinois.
En 2025, même si les chiffres ne sont pas encore publiés, les experts estiment que le chiffre d’affaires pourrait dépasser 2,5 milliards d’euros, en incluant les contrats du Kızılelma et les premières commandes pour le drone vertical Cezeri.
Une information confirmée par le ministre turc de l’Énergie
C’est le ministre turc de l’Énergie, Alparslan Bayraktar, qui l’a confirmé le 4 décembre : Baykar développe actuellement un prototype de réacteur modulaire de 40 mégawatts. Ce projet a en ligne de mire un objectif assez simple : produire de l’électricité nucléaire décentralisée, plus propre, plus flexible, et plus rapide à déployer que les centrales classiques. La Turquie souhaite produire 10 à 15 % de son électricité grâce à l’atome d’ici 2050.
Le virage nucléaire d’une entreprise pas comme les autres
Selçuk Bayraktar, président de l’entreprise familiale et gendre du président Erdogan, voit plus loin que les drones. Lors d’un discours en septembre, il posait la question qui semble aujourd’hui guider la stratégie de Baykar : « Comment la Turquie peut-elle atteindre une capacité nucléaire nationale et indépendante ? » La réponse semble passer par la formation de milliers d’ingénieurs et la création de technologies indigènes, non soumises à l’influence d’acteurs étrangers.
Du drone au réacteur, un même ADN technologique
Passer des drones aux réacteurs nucléaires peut sembler surprenant. Pourtant, l’ADN reste le même : agilité industrielle, contrôle logiciel, miniaturisation, et gestion de systèmes autonomes complexes. Baykar a déjà prouvé sa capacité à imposer ses innovations sur les théâtres de guerre, de l’Ukraine à la Libye. L’énergie est désormais un autre front. Et la Turquie n’a pas l’intention de rester simple cliente.
Thorium : l’atout caché de l’anatolie
Le ministre l’a rappelé : la Turquie possède des réserves significatives de thorium, ce combustible nucléaire alternatif, encore peu exploité. Une délégation turque s’est rendue récemment chez Copenhagen Atomics, au Danemark, pour étudier les concepts de réacteurs au thorium autonomes. Si le pays réussit à coupler son savoir-faire industriel à cette ressource stratégique, il pourrait s’imposer dans une niche où même les géants hésitent encore à investir.
Réserves mondiales de thorium par pays
| Pays | Réserves estimées (en milliers de tonnes) | Commentaires |
|---|---|---|
| Inde | 846 | Plages riches en monazite sur la côte du Tamil Nadu et Kerala. Acteur stratégique sur le thorium. |
| Turquie | 380 | Réserves identifiées dans les provinces d’Eskişehir et Isparta. Atout géostratégique pour Baykar. |
| Brésil | 632 | Importantes veines de monazite, surtout dans le Minas Gerais. Potentiel sous-exploité. |
| Australie | 595 | Réserves réparties sur plusieurs sites, notamment à Mount Weld. Infrastructure minière avancée. |
| États-Unis | 595 | Présence connue dans les sables bitumineux de l’Idaho et autres États de l’Ouest. Projet de relance stratégique. |
| Chine | 100 | Utilise majoritairement le thorium comme sous-produit des terres rares. Investissements en hausse. |
| Russie | 75 | Gisements peu exploités, mais recherche active sur les réacteurs rapides au thorium. |
| Canada | 100 | Potentiel modéré dans plusieurs provinces, associé aux initiatives SMR locales. |
| Autres pays (dont Norvège, Égypte, Vietnam) | 150 | Réserves modestes ou peu documentées, souvent à l’état de prospection. |
Tableau réalisé avec les données compilées par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), etl’USGS (U.S. Geological Survey).
Un marché mondial en ébullition
Baykar n’est pas seul à vouloir sa place dans le paysage nucléaire du futur. Le marché mondial des SMR (Small Modular Reactors) est en pleine effervescence. D’ici 2040, la capacité installée pourrait atteindre entre 55 et 90 GW, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique. En France, NAAREA développe un XAMR alimenté par les déchets nucléaires, avec un prototype prévu pour 2030. Newcleo, une autre start-up franco-britannique, vise un réacteur au plomb. Aux États-Unis, NuScale vient de recevoir l’approbation réglementaire pour ses modules de 77 MW. En Chine, Linglong One, un SMR de 125 MW à Hainan, est en construction. Partout, l’objectif est le même : fournir une électricité bas-carbone, pilotable, dans des zones isolées, des bases militaires, ou des sites industriels. Le ticket d’entrée est cher, mais la promesse est immense : indépendance énergétique, production locale, et réduction des émissions.
Plusieurs exemples de pays sur le marché des SMRs :
| Pays | Projet / Acteur | Puissance | Technologie | Statut |
|---|---|---|---|---|
| Turquie | Baykar | 40 MW | SMR modulaire (thorium possible) | Prototype en développement |
| France | NAAREA (XAMR) | ≈30 MW | Déchets nucléaires, neutron rapide | Prototype prévu en 2030 |
| États-Unis | NuScale Power | 77 MW (par module) | Eau pressurisée (PWR) | Approuvé, en préparation |
| Chine | Linglong One | 125 MW | Mini-réacteur PWR | Construction en cours |
| Royaume-Uni / France | Newcleo | ≈30-50 MW | Réacteur rapide au plomb | Pré-industrialisation |
| Canada | Moltex / Terrestrial Energy | 300 MW (sel fondu) | Réacteur au thorium / uranium | Développement actif |
Source : https://www.middleeasteye.net/news/turkey-drone-magnate-baykar-enters-smr-nuclear-race
Image : Usine de Baykar en mars 2022.