10 000 qubits dans un seul processeur.
Quand on parle de quantique, beaucoup visualisent encore des circuits minuscules, isolés dans des boîtiers cryogéniques, comme des curiosités de laboratoire et plutôt à raison puisque un des problème majeurs rencontrés depuis des années est d’augmenter leur taille.
Google est par exemple passé de 53 à 105 qubits en six ans et IBM prévoit un condensé de 120 qubits mais pas avant 2028.
C’est en ce sens que la nouvelle du jour est aussi « fracassante » puisque QuantWare, une jeune entreprise née à Delft (Pays-Bas), vient dévoiler de son côté le VIO‑40K™ : un processeur quantique de… 10 000 qubits !
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QuantWare dévoile un processeur quantique record de 10 000 qubits
Doc’, mais c’est quoi un qubit ?
Un qubit est l’unité de base de l’informatique quantique, l’équivalent du bit en informatique classique. Contrairement à un bit qui vaut 0 ou 1, un qubit peut être 0 et 1 en même temps grâce au principe de superposition.
Donc un processeur de 10 000 qubits, c’est un système capable d’explorer en parallèle un nombre d’états astronomique, totalement hors de portée des ordinateurs classiques.
Pourquoi c’est important
Pour comprendre l’importance de cette invention, il faut remonter un peu dans le temps. Depuis une décennie, l’industrie bute sur des goulots d’étranglement physiques et architecturaux. Ajouter des qubits à une puce, ce n’est pas comme ajouter des cœurs à un processeur classique : le bruit quantique, la détection de l’erreur, la connectivité interne, tout se complique exponentiellement.
La plupart des équipes ont contourné cet obstacle en réseau de petits processeurs, chacun avec quelques dizaines à quelques centaines de qubits, connectés entre eux par des protocoles logiciels ou des interconnexions à faible fidélité. Ces architectures fonctionnent, mais coûtent énormément en énergie, en temps et en argent, sans parler de l’inévitable perte de performance.
L’architecture VIO™ (Virtual Input/Output) de QuantWare est ce sens très novatrice. Plutôt que d’empiler des qubits sur une seule puce ou de les relier par des réseaux externes, VIO-40K repose sur une structure 3D de modules interconnectés avec des lignes ultra‑fidèles. Le processeur supporte 10 000 lignes d’entrée‑sortie, permettant à chaque qubit d’être connecté avec un haut niveau de cohérence et de fiabilité.
Le résultat est une densité de calcul gigantesque avec une efficacité énergétique et économique jamais vue, car on diminue la dépendance à des réseaux lents ou bruyants entre plusieurs petits QPU.
Une révolution pour qui ?
Le bond de 100 à 10 000 qubits n’est pas un simple exploit de chiffres. Il s’agit d’une transformation profonde de ce qu’un ordinateur quantique peut faire.
Dans les domaines comme :
- la chimie quantique – simuler des interactions moléculaires complexes pratiquement à l’échelle atomique ;
- les matériaux avancés – concevoir des structures inédites pour l’énergie, le stockage ou la supraconductivité ;
- l’optimisation industrielle – résoudre des problèmes qui prendraient des siècles à un ordinateur classique ;
- l’informatique quantique appliquée à l’IA – accélérer des entraînements ou des inférences difficiles.
Pour la première fois, on se rapproche d’un ordinateur quantique « économiquement pertinent », là où les architectures plus modestes restaient cantonnées à des démonstrations de laboratoire.
Un écosystème ouvert avec NVIDIA qui entre dans la danse
QuantWare ne se contente pas d’un processeur hors norme : l’entreprise ouvre son architecture à toute l’industrie via une initiative appelée Quantum Open Architecture (QOA). Cela signifie que toutes les conceptions de qubits supraconducteurs peuvent être désormais ajustées selon le standard VIO : une compatibilité qui brise les silos technologiques.
Un renfort de poids vient d’ailleurs de rejoindre le bateau puisque NVIDIA (qu’on ne présente plus) s’est associé à cette initiative via NVQLink, un pont entre le monde quantique et les supercalculateurs classiques. Grâce à ce lien, il est possible d’accéder au VIO‑40K depuis l’environnement CUDA‑Q, que beaucoup de chercheurs et d’ingénieurs utilisent déjà pour l’IA classique.
Kilofab : une usine dédiée aux QPU quantiques
Pour que ce changement ne reste pas une curiosité technologique isolée, QuantWare construit Kilofab, la première usine de production industrielle dédiée aux processeurs compatibles avec l’architecture QOA.
Située à Delft, cette fab sera prête en 2026 et devrait multiplier par 20 la capacité de production de QPU de QuantWare. C’est un message clair : le quantique n’est plus un projet de laboratoire, mais une industrie en devenir.
Les nations qui mènent la course à l’informatique quantique
Avec l’annonce du VIO‑40K™ de QuantWare et ses 10 000 qubits, l’Europe s’offre une entrée fracassante dans une compétition technologique dominée jusqu’ici par les États‑Unis et la Chine. Ce bond de géant redéfinit les règles du jeu, dans un monde où chaque qubit supplémentaire est un pas de plus vers des révolutions en cryptographie, en simulation moléculaire ou en intelligence artificielle.
Outre-Atlantique, les États‑Unis conservent une position dominante, grâce à des acteurs comme IBM, Google, Microsoft ou IonQ. Ces géants déploient des machines commerciales allant de 100 à 1 000 qubits, avec des feuilles de route vers les 10 000 d’ici la fin de la décennie. Le pays héberge également la majorité des systèmes accessibles via le cloud, ainsi que plusieurs des plus grands projets de calcul hybride.
La Chine, de son côté, avance à marche forcée. Grâce à des investissements massifs de l’État, Pékin développe ses propres processeurs et affirme avoir atteint des records ponctuels de 1 000 qubits sur certaines expériences. Ce n’est pas seulement une affaire de puissance brute : le pays publie également le plus grand nombre d’articles scientifiques dans le domaine, ce qui en fait un acteur redoutable dans la recherche fondamentale.
L’Europe, longtemps en retrait, commence à coordonner ses forces. Avec des projets comme GAIA-X, EuroQCI ou le Quantum Flagship, et des start‑ups brillantes en France (Pasqal, Quandela, Alice & Bob), aux Pays‑Bas (QuantWare), ou en Allemagne (IQM), le Vieux Continent commence à se poser en acteur crédible pour la prochaine révolution technologique.
Derrière ce trio de tête, le Canada poursuit son exploration du recuit quantique avec D-Wave et investit dans des systèmes photonique avec Xanadu. L’Inde, quant à elle, se distingue par le nombre impressionnant de jeunes formés aux technologies quantiques : près de 91 000 diplômés spécialisés en 2025, soit un quart des talents mondiaux. Enfin, le Japon vient d’entrer dans le cercle fermé des pays ayant développé un ordinateur quantique local de bout en bout, une première dans son histoire.
Synthèse des capacités quantiques par pays (2025)
| Pays / région | Acteurs ou initiatives | Capacités notables | Spécificités |
|---|---|---|---|
| États‑Unis | IBM, Google, Microsoft, IonQ | Plus de 100 machines commerciales, >1 000 qubits | Écosystème public-privé très développé |
| Chine | USTC, Origin Quantum | Processeurs expérimentaux >1 000 qubits | Investissements publics massifs, nombreuses publications |
| Union européenne | QuantWare, Alice & Bob, Quandela | Multiples architectures (superconducteurs, photons, ions) | Approche souveraine et collaborative |
| Canada | D-Wave, Xanadu | 20 systèmes recensés | Spécialiste du recuit quantique et du photonique |
| Inde | Programmes académiques et nationaux | 91 000 diplômés spécialisés | Réservoir mondial de talents en devenir |
| Japon | RIKEN, Université d’Osaka | 1er ordinateur quantique domestique mis en service | Retour à l’autonomie technologique |
Sources :
• QuantWare – communiqué officiel, QuantWare announces scaling breakthrough with VIO-40K™
https://www.quantware.com/news/quantware-announces-scaling-breakthrough-with-vio-40k
• QuantWare – description technique, VIO™ architecture and scaling technology
https://quantware.com/technology
• Bits & Chips, Delft-based QuantWare steps up quantum scaling with 10 k-qubit QPU
Delft-based Quantware steps up quantum scaling with 10K-qubit QPU
• Augmented Qubit – Quantum computers by country