Des sous-marins allemands pour l’Inde.
Après des mois de négociations, l’Inde a opté pour le sous-marin allemand Type 214. Un contrat à plus de 7,7 milliards d’euros.
Derrière la technologie, une inquiétude plus ancienne : celle d’être prêt, si les choses dérapent.
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Sous la mer, l’Inde mène une guerre qui ne fait pas de bruit
Dans les bureaux du ministère de la Défense à New Delhi, un signal clair a été envoyé : l’Inde s’arme, et elle le fait avec méthode.
Le projet P75(I) consiste en une commande de six nouveaux sous-marins pour compléter la flotte existante. Un besoin devenu pressant, avec l’ombre chinoise qui s’allonge sur l’océan Indien, et les ambitions navales du Pakistan qui ne faiblissent pas. En sélectionnant les Allemands de TKMS, les autorités indiennes ont préféré le “déjà éprouvé” à l’option espagnole, encore jeune sur le terrain.
Montant estimé du contrat : plus de 70 000 crores de roupies, soit environ 7,7 milliards d’euros.
L’arme discrète d’un pays qui ne veut pas être pris de court
Le Type 214, ce n’est pas le plus impressionnant des submersibles. Pas de monstre nucléaire ici, ni de gigantisme. Seulement 65 mètres de longueur, 1 800 tonnes en plongée, une trentaine d’hommes à bord. Mais à l’intérieur, une technologie d’endurance et de discrétion.
Grâce à sa propulsion indépendante de l’air, basée sur des piles à hydrogène, il peut rester immergé jusqu’à trois semaines sans refaire surface. Dans la guerre sous-marine, Plus on reste invisible, plus on est utile. Et plus on est utile… plus on est redouté.
Le Type 214 a déjà convaincu d’autres pays : la Grèce, la Turquie, la Corée du Sud et a déjà acquis la réputation d’une machine fiable.
À quoi a renoncé l’Inde en disant non à l’Espagne ?
Le modèle espagnol, le S-80 Plus, avait pourtant de quoi séduire. Plus grand, plus long, près de 3 000 tonnes. Conçu pour les longues missions en haute mer, capable de traverser l’Atlantique, il était taillé pour une marine tournée vers l’extérieur.
Mais sur les chantiers de Navantia, les retards se sont accumulés. Mauvais calculs, révisions de conception, tests repoussés… Le programme a pris des années de retard. Trop pour l’Inde, qui cherchait un partenaire capable de livrer vite, sans mauvaise surprise.
Pour rappel, Naval Group qui a déjà fourni les 6 sous-marins de classe Scorpène, n’avait pas pris part à cet appel d’offre.
Comparatif des deux concurrents :
Caractéristique | Type 214 (Allemagne) | S-80 Plus (Espagne) |
Longueur | 65 mètres | 81 mètres |
Déplacement en plongée | 1 800 tonnes | 3 000 tonnes |
Propulsion AIP | Piles à hydrogène | Bioéthanol |
Autonomie en plongée | 21 jours | 15 jours |
Équipage | 30 hommes | 32 hommes |
Retours opérationnels | Oui (plusieurs pays) | Non (encore testé) |
Une montée des tensions avec Pékin, silencieuse mais continue
Il faut le dire sans détour : derrière cette commande allemande se cache une obsession croissante de New Delhi. La Chine n’est plus une simple puissance voisine. Elle est devenue un acteur omniprésent, au large du Sri Lanka, dans les Maldives, au large de Djibouti. Ses sous-marins patrouillent désormais jusqu’aux portes du canal de Mozambique. Ils sondent, observent, s’imposent.
Dans ce jeu, l’Inde ne peut plus se contenter d’être spectatrice. Pékin déploie aujourd’hui la troisième plus grande flotte sous-marine au monde, mêlant modèles nucléaires et conventionnels. Avec ses bases relais, ses navires d’espionnage, ses satellites, la marine chinoise vise à verrouiller les grands axes maritimes du Sud. Et l’océan Indien, autrefois considéré comme le « lac indien », devient lentement un terrain partagé.
Face au Pakistan, une dissuasion sous-marine à double détente
Avec le Pakistan, le face-à-face est plus ancien, plus immédiat, plus tendu aussi. Entre les deux puissances, l’équilibre repose depuis longtemps sur un fragile jeu de parité nucléaire. Et désormais, il se déplace aussi sous la surface. Islamabad, avec l’appui direct de Pékin, a lancé une modernisation accélérée de sa flotte. Les sous-marins chinois Type 039B Yuan, commandés en série, arrivent progressivement dans ses arsenaux, renforçant un arsenal déjà composé de trois Agosta 90B français modernisés.
Sur le papier, le Pakistan progresse vite. Il aligne des bâtiments plus récents, mieux armés, dotés de technologies AIP. Mais dans les faits, cette montée en puissance reste dépendante de la Chine. Et les Yuan, bien que puissants, n’ont pas encore été éprouvés dans des missions réelles d’envergure.
L’Inde, elle, mise sur l’expérience. Elle connaît les eaux du Golfe, du détroit de Malacca, les reliefs sous-marins du large de Karachi. En s’équipant de submersibles plus silencieux, plus endurants, elle prépare une réponse asymétrique. Il ne s’agit pas ici de courir après le nombre, mais de maintenir un avantage qualitatif. Car dans cette rivalité-là, le moindre bruit détecté peut suffire à tout faire basculer.
Sous le contrat, une ambition industrielle
Ce contrat avec TKMS ne se résume pas à un achat. Il s’accompagne d’un transfert massif de technologie. En clair : les sous-marins seront construits en Inde, à Mumbai, dans les ateliers de MDL. Les ingénieurs indiens apprendront, pièce par pièce, à maîtriser ces engins. Une stratégie qui n’est pas nouvelle : l’Inde l’a déjà appliquée pour ses chars, ses avions, ses radars.
L’objectif est simple : gagner en autonomie. Ne plus dépendre d’un fournisseur unique, ne plus attendre des pièces venues de l’étranger, ne plus subir de retards ou d’embargos.
Le “Make in India” devient ici “Build to control”.
Les abysses comme nouveau champ de bataille
Pendant longtemps, la marine indienne se concentrait sur les côtes. Aujourd’hui, les ambitions changent. L’océan Indien devient une zone à surveiller, à protéger, à contrôler. Les routes commerciales, les bases étrangères, les passages stratégiques : tout passe par là.
Les sous-marins en sont la clef. Invisibles, silencieux, capables d’écouter ou de frapper sans avertir. En complétant sa flotte avec ces nouveaux bâtiments, l’Inde installe une architecture à plusieurs étages : des sous-marins AIP pour la surveillance, et des sous-marins nucléaires pour la dissuasion.
Comparatif des flottes sous-marines : Inde, Pakistan, Chine
Pays | Type de sous-marins | Nombre (estimé) | Propulsion | Origine |
---|---|---|---|---|
Inde | Scorpène (Kalvari) | 6 | Diesel-électrique (AIP non intégré) | France / Construction locale (MDL) |
Type 214 (à venir) | 6 | Diesel-électrique + AIP (piles à hydrogène) | Allemagne / Construction locale (MDL) | |
Classe Arihant | 2 | Nucléaire (SNLE) | Inde (programme indigène) | |
Classe SSN (nucléaires d’attaque – en projet) | 6 à 8 (prévu) | Nucléaire (SNA) | Inde (en développement) | |
Pakistan | Agosta 70 | 2 | Diesel-électrique | France |
Agosta 90B (Khalid) | 3 | Diesel-électrique + AIP (MESMA) | France / Modernisés avec aides chinoises | |
Type 039B/Yuan | 8 (livraison en cours) | Diesel-électrique + AIP | Chine (commande de 2015, 4 livrés, 4 en construction au Pakistan) | |
Chine | Type 039 Yuan | 17 à 20 | Diesel-électrique + AIP | Chine |
Type 091/093 Shang | 6 à 8 | Nucléaire (SNA) | Chine | |
Type 094 Jin | 6 | Nucléaire (SNLE) | Chine | |
Type 096 (en développement) | 2 à 3 (attendus) | Nucléaire (SNLE de nouvelle génération) | Chine |
Quelques points de lecture :
- L’Inde mise sur la diversité : conventionnels avec et sans AIP, SNLE en service, SNA en projet. Elle cherche l’autonomie industrielle avec un transfert de technologies stratégique.
- Le Pakistan dépend encore largement de l’aide chinoise, mais modernise rapidement sa flotte. Ses Yuan sont un multiplicateur de puissance, mais moins éprouvés en conditions réelles.
- La Chine est devenue un acteur de premier plan, avec une flotte nucléaire en pleine expansion et des sous-marins conventionnels en grand nombre. Elle est la seule des trois à disposer d’une force océanique complète et mondiale.
Source : https://www.eurasiantimes.com/battle-of-submarines-indias-type-214-vs-pakistan/
Image : Sous-marin type 214