Il peut voler vite, bas, ou loin, et frapper en mer comme à terre.
Le 10 septembre 2025, au salon DSEI de Londres, la France et le Royaume-Uni ont levé le voile sur un projet, jusqu’ici bien gardé, qui pourrait marquer l’histoire de l’armement : STRATUS.
Conçu par MBDA, ce programme regroupe deux missiles d’un nouveau type : furtifs, interopérables et capables d’évoluer dans les conflits de haute intensité.
Avec STRATUS, Paris et Londres entendent reprendre la main sur la frappe de précision à longue portée, face aux États-Unis, à la Chine… et au brouillard de guerre de demain.
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STRATUS : le missile secret franco-britannique qui pourrait dominer les guerres du futur
Le stand MBDA au salon DSEI de 2025 ne paie pas de mine à première vue. Un podium, deux maquettes, quelques écrans tactiles.
Et pourtant, ce 10 septembre 2025, c’est l’aboutissement de près de dix ans de travaux qui est révélé au grand public.
Le ministre britannique de la Défense, Luke Pollard, et l’ingénieur général français de l’armement, Gaël Diaz De Tuesta, ont dévoilé le nom définitif du programme FC/ASW :
STRATUS, acronyme évocateur pour un système destiné à opérer dans des espaces aériens « nuageux », autrement dit ni visibles, ni sûrs.
Deux versions ont été présentées :
- STRATUS LO (Low Observable), ex-TP15 : missile furtif subsonique pour pénétration profonde.
- STRATUS RS (Rapid Strike), ex-RJ10 : missile supersonique pour frappes rapides, notamment en anti-navire.
Un missile discret, un missile rapide : le duo est pensé pour désorganiser l’ennemi sous tous les angles.
Le 2e en particulier, aura pour tâche « impossible » de faire oublier son illustre ancêtre : l’Exocet.
Exocet, le père prestigieux
Avant STRATUS, il y eut l’Exocet. Né dans les années 1970, ce missile antinavire français a marqué l’histoire moderne de la guerre en mer. Mis en service en 1975, il s’est fait connaître mondialement en 1982 lors de la guerre des Malouines, lorsqu’un Super Étendard argentin en a lancé un contre le HMS Sheffield, causant sa perte. Depuis, l’Exocet s’est décliné en versions mer-mer, air-mer et sous-marine, avec des portées allant de 40 à plus de 200 kilomètres pour la version la plus récente, le MM40 Block 3C. Il a été exporté dans plus de 30 pays, et produit à plus de 3 500 exemplaires, devenant un standard des marines moyennes. Sa fiabilité, son profil de vol rasant (« sea skimming ») et sa charge militaire d’environ 165 kg en ont fait l’un des missiles antinavires les plus redoutés de son époque. STRATUS ne remplace donc pas n’importe quoi : il s’inscrit dans l’héritage d’un missile qui a redéfini les règles de l’engagement naval moderne.
Une complémentarité pensée pour la guerre moderne
STRATUS a été pensé comme un écosystème de frappe multithéâtre, avec pour objectif :
- La destruction de défenses aériennes (SEAD/DEAD)
- Les frappes navales à longue portée
- La neutralisation d’infrastructures critiques en profondeur
- L’interopérabilité air/terre/mer
Ces missiles seront lancés depuis des avions, des navires et des plateformes terrestres, capables de traverser des zones contestées, brouillées, saturées.
Le missile STRATUS LO mise sur la furtivité, avec une cellule furtive, des matériaux absorbants et une trajectoire à très basse altitude.
Le STRATUS RS, lui, mise sur la vitesse et la manœuvrabilité pour déjouer les systèmes de défense antimissile.
750 ingénieurs sur le « qui-vive »
MBDA annonce que plus de 750 ingénieurs sont actuellement mobilisés sur le programme à travers la France, le Royaume-Uni et l’Italie.
Un effort réparti, coordonné, qui tire parti du “modèle MBDA” : mutualisation des briques technologiques, partage des tâches industrielles, standardisation des interfaces.
Voici un aperçu de la répartition des travaux :
Pays | Responsabilités principales |
---|---|
France | Aérodynamique furtive, guidage terrain suivi de relief, plateforme aérienne |
Royaume-Uni | Propulsion avancée, charge militaire, capacités navales |
Italie | Intégration système, cyberprotection, bancs de tests |
La phase d’évaluation s’est achevée avec succès en 2024, validant les technologies clés.
La phase de développement est désormais lancée, avec des premiers essais attendus avant 2028.
STRATUS contre le monde : un missile pour résister aux géants
STRATUS vise à remplacer plusieurs armes vieillissantes :
- SCALP/Storm Shadow (France, Royaume-Uni)
- Exocet / Harpoon (missiles antinavires)
- Missiles de croisière de théâtre à portée moyenne
Mais il vise aussi à concurrencer les nouveaux monstres de la frappe longue portée :
Missile concurrent | Pays | Type | Portée estimée | Particularité |
AGM-158 JASSM-ER | États-Unis | Subsonique furtif | > 900 km | Actuellement leader OTAN |
3M22 Zircon | Russie | Supersonique | 1 000–1 500 km | Hypervélocité (Mach 8) |
CJ-10 | Chine | Subsonique | > 1 500 km | Tiré depuis plateformes terrestres |
BrahMos-II | Inde / Russie | Supersonique | > 500 km | Coproduction active |
STRATUS RS pourrait atteindre des vitesses supersoniques (Mach 2 à 3), tandis que STRATUS LO misera sur la pénétration basse altitude à signature réduite.
Une souveraineté européenne à l’horizon
Derrière la technicité, STRATUS est aussi un symbole politique fort.
Il montre que l’Europe peut concevoir, produire et exporter un système de frappe avancé, sans dépendre des États-Unis.
À terme, MBDA espère que STRATUS remplacera une douzaine de types de missiles actuellement en service dans plus de 10 pays européens.
Il pourrait aussi séduire à l’export, notamment auprès de pays ayant déjà le Rafale, l’Eurofighter ou les FREMM.
La France, le Royaume-Uni et l’Italie veulent prouver que la souveraineté militaire n’est pas un mot creux, mais une trajectoire de vol précise, furtive… et imparable.
Source : MBDA
Image de mise en avant : Maquettes des trois versions du missile Exocet. Stand de la société MBDA au salon du Bourget 2013.