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La France « snobe » ce pays aux portes de l’Europe qui veut pourtant lui acheter son dernier système SAMP/T pour son Dôme d’acier

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Guillaume Aigron

Guillaume Aigron

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Ils veulent leur Dôme d’acier : le pari turc sur la défense européenne et le silence de Paris. Un sommet de l’OTAN, deux présidents aux idées divergentes, un missile franco-italien …

Module de lancement terrestre du SAMP/T déployé.

Ils veulent leur Dôme d’acier : le pari turc sur la défense européenne et le silence de Paris.

Un sommet de l’OTAN, deux présidents aux idées divergentes, un missile franco-italien au cœur de l’équation. À La Haye, Recep Tayyip Erdoğan était venu avec avec une demande particulière : que la France ouvre enfin les vannes du SAMP/T, ce bouclier aérien que la Turquie convoite depuis des années.

Derrière ce dossier, c’est une vision du monde, des alliances et de l’indépendance militaire qui s’entrechoquent.

Le président turc n’a pas oublié les humiliations passées. Éjecté du programme F-35, boudé par ses alliés européens, frappé de sanctions américaines, Ankara veut aujourd’hui reprendre la main. Son arme ? Un projet appelé “Steel Dome”, une ambition démesurée d’autonomie aérienne, de co-production européenne, et de missile franco-italien made in Türkiye.

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C’est au cœur du sommet de l’OTAN, à La Haye, que Recep Tayyip Erdoğan a lancé une nouvelle offensive diplomatique. Devant Emmanuel Macron, il a réclamé que la France mette fin à son blocage politique sur la vente du système SAMP/T. Officiellement, rien ne filtre côté français. Officieusement, l’Élysée hésite à ouvrir la porte à un partenaire devenu imprévisible.

Ankara, de son côté, n’a jamais cessé d’insister sur sa loyauté dans l’Alliance. Deuxième armée terrestre de l’OTAN, cinquième contributeur aux opérations, la Turquie se veut incontournable. Et surtout, elle veut participer pleinement aux programmes européens de défense, même si elle n’est pas membre de l’Union.

Le message est limpide : si la France accepte, le projet turc de bouclier antimissile multicalque, baptisé “Steel Dome”, pourra entrer en phase active d’ici deux à trois ans. Si elle refuse, c’est l’OTAN elle-même qui en subira les conséquences, selon Ankara.

Le SAMP/T, une pièce maîtresse du puzzle

Le SAMP/T est un système d’interception de missiles et d’avions développé par la France et l’Italie. Il utilise les missiles Aster 30, capables de neutraliser des cibles à plus de 150 kilomètres. Déployé en France, en Italie, en Ukraine ou à Singapour, il est reconnu pour son interopérabilité avec les systèmes de l’OTAN.

Sa nouvelle version, appelée SAMP/T NG, renforce encore cette efficacité grâce à des radars à balayage électronique utilisant du nitrure de gallium. En fonction du pays utilisateur, ces radars diffèrent : le Ground Fire 300 fourni par Thales pour la France, le Kronos GM HP de Leonardo pour l’Italie. Tous deux exploitent le missile Aster 30 B1NT, conçu pour contrer les menaces hypersoniques.

Le tableau ci-dessous résume les caractéristiques essentielles :

Caractéristique SAMP/T SAMP/T NG
Missile Aster 30 Aster 30 B1NT
Portée 120-150 km 150 km+
Radar ARABEL Ground Fire 300 / Kronos GM HP
Pays utilisateurs France, Italie, Singapour, Ukraine À venir

 

Pour la Turquie, le SAMP/T représente un levier d’intégration dans l’industrie de défense européenne. Le projet initial de co-développement, signé en 2018 avec Eurosam, impliquait déjà les géants turcs Roketsan et Aselsan, aux côtés de Thales, Leonardo et MBDA.

Une histoire de tensions, de Syrie et de sanctions

Tout semblait bien parti… Puis, en 2019, Ankara a lancé l’opération “Source de paix” dans le nord de la Syrie. Cette intervention militaire contre les forces kurdes a provoqué la colère de Paris. Résultat : blocage du projet SAMP/T. Le climat politique se détériore.

Entre-temps, la Turquie avait acheté un système russe S-400 pour 2,3 milliards d’euros. Ce choix a été un séisme au sein de l’OTAN. Washington a réagi en expulsant Ankara du programme F-35 et en imposant des sanctions.

Le message était clair : il n’est pas possible de concilier systèmes russes et standards de l’Alliance.

Erdoğan plaide aujourd’hui pour une utilisation “limitée” du S-400, exclusivement hors infrastructure OTAN. Une tentative de compromis pour rouvrir le dialogue.

Une architecture défensive en construction

En parallèle, Ankara avance sur son propre programme. Le “Steel Dome” vise à bâtir un réseau de défense aérienne multicouche, capable de couvrir l’ensemble du territoire turc.

Le système intègre :

  • Des moyens à courte portée : canon Korkut, missile portable Sungur.
  • Des capacités à moyenne portée : systèmes Hisar-A+ et Hisar-O.
  • Des missiles longue portée : la famille Siper (plus de 150 km de portée).
  • Des armes à énergie dirigée : Alka, Gökberk.
  • Une interface réseau basée sur les radars RADNET et le système de commandement HERİKKS.

Le tout est conçu pour fonctionner avec l’intelligence artificielle et offrir une défense réactive en temps réel.

Nom Portée Type
Korkut 4 km Canon antiaérien
Sungur 6-8 km Missile sol-air portable
Hisar-O 25 km Missile moyenne portée
Siper 150 km+ Missile longue portée

 

Les autorités turques insistent : le S-400 ne fera pas partie du “Steel Dome”. Ce dernier devra être 100 % compatible avec les standards de l’OTAN.

Une ambition industrielle et stratégique

Derrière le débat militaire, il y a une logique industrielle. En produisant le SAMP/T sous licence, Ankara entend booster ses exportations d’armement, gagner en autonomie technologique et renforcer ses entreprises nationales.

Le projet promet aussi de consolider les liens entre les industries françaises, italiennes et turques. Fabrication de radars, centres de commande, têtes chercheuses : la coopération serait large et profitable. Une telle alliance serait aussi un signal politique fort d’une OTAN plus unie face aux menaces venues d’Iran, de Russie ou de la Méditerranée orientale.

En comparaison, le “Steel Dome” se distingue du “Dôme de fer” israélien : là où Tel Aviv privilégie la courte portée, Ankara vise une couverture complète du spectre des menaces, y compris celles venant de très loin.

Ce que cache le silence de Paris

La France n’a pas encore répondu « officiellement » à la demande turque. Derrière le mutisme diplomatique se cache une question plus profonde : peut-on faire confiance à la Turquie pour devenir un pilier de la défense européenne ? Peut-on ignorer ses positions en Syrie, ses tensions avec Chypre, ses ambitions navales ?

L’Italie, elle, ne semble pas avoir de scrupules. Elle soutient la coopération avec Ankara depuis le début. Alors que plusieurs pays de l’OTAN (Belgique, Danemark, Estonie) lorgnent aussi sur le SAMP/T, d’autres comme la Pologne ou la Suisse lui préfèrent le Patriot américain.

Ankara, de son côté, continue de marteler que sa proposition est une contribution à la défense collective, pas une menace. Erdoğan ne veut plus rester à la porte de l’Europe de la défense. Il veut y entrer… par la voie des missiles.

Source : https://www.turkiyetoday.com/nation/erdogan-to-push-for-european-missile-system-and-eurofighter-deal-at-nato-summit-repor-3203421

Image : Module de lancement terrestre du SAMP/T déployé.

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