La guerre commence déjà là-haut : la France muscle sa stratégie spatiale militaire.
Ce 12 novembre à Toulouse, le président de la République a franchi un pas symbolique et stratégique. Aux côtés de la ministre des Armées Catherine Vautrin, il a coupé le ruban des nouvelles installations du Commandement de l’espace (CDE).
L’occasion pour lui de dévoiler une stratégie spatiale nationale repensée, dans un contexte où la souveraineté orbitale et la sécurité des satellites sont devenues des priorités militaires absolues.
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La France muscle sa stratégie spatiale militaire avec les nouvelles installations du Commandement de l’espace
Athena-Fidus. Le nom ne dit peut-être rien au grand public mais ce satellite de télécommunications franco-italien a marqué un tournant. En 2017, il est approché de trop près par un engin russe. Depuis, les indices s’accumulent. Satellites « patrouilleurs » venus flairer nos engins, brouillages GPS à répétition, cyberattaques ciblant les infrastructures orbitales, tirs antisatellites à titre d’essai, comme ceux menés par la Russie ou l’Inde, et depuis peu, la menace à peine voilée d’armes nucléaires dans l’espace.
Face à cette nouvelle réalité, la France n’a plus le luxe de la naïveté et a décidé d’agir. Le président a annoncé un effort budgétaire de 4,2 milliards d’euros supplémentaires pour la défense spatiale, en plus des 6 milliards déjà prévus dans la loi de programmation militaire.
Une enveloppe massive, destinée à faire du Commandement de l’espace (CDE) un outil pleinement opérationnel d’ici à 2030.
Toulouse, bastion spatial
C’est ici, sur la base aérienne 101, qu’a été bâti le nouveau cœur opérationnel du CDE. Un bâtiment neuf, 500 personnes à terme, et une mission : surveiller l’orbite. Pas au sens figuré. Au quotidien, les équipes militaires croisent leurs données avec celles du CNES, de Thales Alenia Space ou du NATO Space Centre installé juste à côté. Leur mission : détecter, caractériser et neutraliser les menaces, tout en suivant les débris flottant en orbite basse comme des pièges silencieux.
En six ans, depuis sa création en 2019, le CDE est passé d’un concept sur papier à une structure interarmées à part entière. L’urgence n’a cessé de croître avec un nombre de satellites actifs, passé de 2 200 en 2019 à près de 13 000 aujourd’hui, dont plus de la moitié sont des Starlink américains.
Résultat : congestion, brouillage, collisions évitées de justesse. Dans ce brouhaha spatial, il faut un chef d’orchestre. La France veut jouer ce rôle.
Une stratégie en cinq piliers
La nouvelle doctrine spatiale française, dévoilée à Toulouse, repose sur cinq axes :
- garantir l’accès autonome à l’espace,
- soutenir une industrie souveraine,
- renforcer le spatial militaire,
- poursuivre l’exploration,
- et tisser des coopérations.
Sur ce dernier point, Paris cherche des convergences, notamment avec l’Allemagne à travers le projet JEWEL, ou avec les États-Unis, partenaires historiques malgré la domination de leurs constellations commerciales.
Une partie de cette stratégie restera confidentielle. Une nécessité, au vu de la sensibilité des technologies mises en jeu : satellites d’écoute, brouilleurs, intercepteurs orbitaux. Pour le reste, le signal est clair. La France revendique un droit de regard sur ce qui se joue au-dessus de nos têtes et entend s’en donner les moyens.
Des satellites à la guerre numérique
L’espace, ce n’est plus juste des fusées et des télescopes. C’est aussi le terrain d’opérations des cyberattaques les plus sophistiquées. Dans les terminaux au sol, les algorithmes surveillent les trajectoires, mais aussi les anomalies de signaux, les tentatives de prise de contrôle à distance, ou les interférences venues d’autres puissances. Sur ce terrain, la Russie et la Chine sont des acteurs affirmés, parfois agressifs.
La France, elle, mise sur une montée en gamme de ses moyens. Avec ses satellites militaires Syracuse, ses capteurs d’alerte embarqués, ses liaisons ultra-sécurisées, elle veut bâtir une capacité autonome et souveraine.
Les installations inaugurées à Toulouse marquent une étape concrète vers cet objectif.
Synthèse des moyens militaires spatiaux de la France en 2025
| Catégorie | Système / Nom | Fonction | Statut |
|---|---|---|---|
| Observation | CSO-1, CSO-2, CSO-3 (optique très haute résolution) | Renseignement stratégique et tactique | En service (CSO-3 attendu en 2026) |
| Observation | Helios 2A / 2B (ancien système optique) | Complément d’observation optique | En fin de vie / partiellement actif |
| Observation radar | Composante française du système MUSIS | Vision tout temps, jour/nuit | En coopération (avec l’Italie – COSMO-SkyMed) |
| Écoute électromagnétique | Cérès (3 satellites) | Renseignement électromagnétique depuis l’espace | Opérationnel depuis fin 2021 |
| Télécommunications | Syracuse 3A / 3B / 4A | Communications militaires sécurisées | En service (4B prévu en 2026) |
| Commandement | Commandement de l’espace (CDE) | Planification, opérations et doctrine spatiale militaire | Installations inaugurées en 2025 |
| Surveillance spatiale | GRAVES (radar de veille spatiale) | Suivi des objets en orbite basse | Opérationnel depuis 2005 (modernisation en cours) |
| Coordination interalliée | NATO Space Centre of Excellence (Toulouse) | Échange doctrinal et formation OTAN | Actif depuis 2023 |
| Budget militaire spatial | → 10,2 milliards € (prévu d’ici 2030) | Investissement capacitaire (satellites, doctrine, personnel) | Engagement en cours |
Source : Ministère des Armées
Image : Représentation du satellite Athena-Fidus