La Belgique lance un chasseur de mines sans équipage : vers la fin des plongeurs dans les eaux piégées ?
Le M940 Oostende, fleuron belge du programme belgo-néerlandais rMCM, est arrivé à Zeebruges. Construit en France à Concarneau, piloté à distance, il est conçu pour déminer sans jamais exposer un marin. Ce sera le premier navire de ce type a être opérationnel dans le monde et il sera suivi de 11 « sisterships » (5 belges, 6 néerlandais).
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Le M940 Oostende, premier démineur sans plongeur du monde
Le Oostende n’est pas un chasseur de mines « traditionnel ». Le nouveau bâtiment et fleuron de la flotte belge est devenu un véritable chef d’orchestre numérique, à distance, pilotant une flotte de drones (aériens, de surface, et sous-marins) qui se chargent du sale boulot. Le navire reste hors de portée, pendant que les machines s’enfoncent dans les zones piégées. Une guerre propre, automatisée, qui commence loin du front.
L’héritage d’un passé trop risqué
Pendant des décennies, les marins belges et néerlandais ont patrouillé à bord des Tripartite, ces vieux chasseurs de mines conçus en coopération avec la France dans les années 1980. À l’époque, tout se faisait à la main. On repérait, on plongeait, on posait une charge. C’était lent, exposé, artisanal. Malgré l’habileté des équipages, chaque mission comportait une part d’imprévu.
Aujourd’hui, ce modèle est révolu. Le programme rMCM, signé en 2019, vise à remplacer toute la flotte par 12 nouveaux navires, six belges, six néerlandais. Tous construits autour d’un principe : ne plus mettre d’humain à proximité d’un explosif.
Montant estimé du programme rMCM : entre 1,8 et 2 milliards d’euros, drones compris.
Une boîte à outils de haute technologie
À bord du M940 Oostende, l’équipage (une trentaine de marins seulement) ne descend plus sur le pont pour manipuler des détecteurs. Il consulte des écrans, trace des routes, lance des séquences. La neutralisation est confiée à une gamme impressionnante d’engins autonomes :
- A18-M : drone sous-marin équipé de sonar à ouverture synthétique (UMISAS) pour la détection large.
- T-18M : sonar tracté pour le nettoyage des routes et l’analyse des fonds.
- Seascan : robot filoguidé pour l’identification détaillée.
- K-STER : mini-drone de neutralisation des mines.
- Inspector 125 : navire de surface autonome servant de base mobile.
- Skeldar V-200 : drone hélico pour relais radio et reconnaissance.
Ces systèmes communiquent en temps réel avec le navire mère, qui reste en retrait. L’ensemble fonctionne comme une cellule nerveuse déployée sur plusieurs kilomètres, capable d’intervenir sans jamais faire de bruit.
Une plateforme modulaire et discrète
Techniquement, le Oostende n’impressionne pas par sa taille : 82,6 mètres de long, 17 mètres de large, 2 800 tonnes à pleine charge. Sa vitesse maximale avoisine les 28 km/h (15,3 nœuds). Ce n’est pas un sprinteur, c’est un veilleur.
Son architecture interne est pensée pour accueillir les drones, les conteneurs, les systèmes de récupération. La propulsion hybride (CODLAD) combine générateurs diesel ABC et moteurs électriques Wärtsilä, avec propulseurs d’étrave et de poupe pour les manœuvres de précision. L’endurance dépasse les 6 400 kilomètres, soit plus de 3 500 milles nautiques, ce qui lui permet d’opérer longtemps, même en mer du Nord agitée.
Systèmes intégrés du navire :
| Système | Fonction |
| Polaris (Naval Group) | Système de commandement de combat |
| UMISOFT (Exail) | Gestion des drones et mission MCM |
| Radar NS50 (Thales) | Surveillance air/surface (antenne AESA) |
| Radar Scanter 6000 (Terma) | Navigation et détection de cibles mobiles |
| Sonar avant | Évitement d’obstacles et sécurité de coque |
La Belgique à la tête d’un modèle européen
Le M940 est le premier d’une série de 12. Le suivant, le M841 Vlissingen néerlandais, arrivera en février 2026. Le M941 Tournai, deuxième navire belge, est attendu en mars. Tous seront livrés progressivement jusqu’en 2030.
Ce programme n’est pas seulement naval. Il est industriel et politique. Naval Group, Exail, Patria, Thales, et d’autres PME européennes ont été intégrées. Des modules sont fabriqués en France, en Pologne, en Roumanie. Les drones sont assemblés à Ostende. Le centre de formation est désormais connecté au Centre d’excellence OTAN pour la guerre des mines, également en Belgique.
Ce projet reflète plusieurs ambitions : standardiser la guerre des mines en Europe, partager des doctrines, mutualiser les pièces, former les équipages sur les mêmes outils et s’assurer que, face à une crise, plusieurs marines puissent réagir ensemble, sans perdre un instant.
Une réponse stratégique à un risque économique majeur
Pourquoi investir autant dans un domaine aussi peu « tape à l’œil » que la guerre contre les mines ? Parce que les conséquences d’un blocage portuaire sont vertigineuses. En Belgique, un seul jour de paralysie de Zeebruges ou d’Anvers à cause d’une mine coûterait plusieurs centaines de millions d’euros.
Les mines modernes ne sont plus des sphères rouillées posées au fond de l’eau. Ce sont des engins programmables, déclenchables à distance, capables de distinguer le type de navire, de réagir au bruit, à la signature magnétique. Et elles coûtent peu à fabriquer.
Le M940 Oostende, lui, est conçu pour toutes les affronter… y compris celles qu’on n’a pas encore inventées !
Source : Naval Group