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Ce pays européen frustré par les Etats-Unis a décidé de développer seul la défense anti-aérienne ultime pour ne plus dépendre de l’étranger

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Guillaume Aigron

Guillaume Aigron

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La Turquie se protège seule : le bouclier aérien qui fait trembler l’OTAN et Moscou. Le 27 août 2025, dans l’enceinte blindée de la base technologique de Gölbaşı, le président …

Le bouclier ultime contre les missiles est né d'une frustration de la Turquie face à un refus américain de leur livrer leur système Patriot

La Turquie se protège seule : le bouclier aérien qui fait trembler l’OTAN et Moscou.

Le 27 août 2025, dans l’enceinte blindée de la base technologique de Gölbaşı, le président Recep Tayyip Erdoğan a levé le voile sur un projet militaire que beaucoup pensaient hors de portée pour la Turquie : un bouclier anti-aérien national, modulaire, complet, connecté. Le « Steel Dome », ou Dôme d’acier, marque un tournant stratégique pour du pays.

Élaboré par ASELSAN, fleuron turc de l’armement électronique, le Dôme d’acier incarne une ambition : ne plus dépendre de Washington, ni de Moscou. Il promet de couvrir les 783 000 kilomètres carrés du territoire turc, du Bosphore aux rives de Van, avec une défense multicouche pensée pour la guerre moderne.

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Les chiffres claquent comme un ordre militaire : 47 systèmes livrés d’un coup, pour une valeur de 430 millions d’euros. On y trouve tout ce qui compose une architecture de défense moderne : missiles longue portée SİPER, missiles intermédiaires HİSAR, canons KORKUT montés sur véhicules, radars multi-bandes, systèmes de guerre électronique, brouilleurs portatifs.

Pour la première fois, un drone de combat AKINCI, en vol au-dessus d’Ankara, a retransmis en direct les images du transfert, via le système optique ASELFLIR-600. Surveillance, ciblage, interception : tout a été pensé pour que chaque menace soit identifiée, suivie, neutralisée. En temps réel.

L’objectif est simple : couvrir chaque strate de l’espace aérien. De la roquette artisanale aux missiles balistiques intercontinentaux. Une stratégie inspirée des systèmes israéliens ou américains, mais conçue sur mesure.

Un rempart organisé en couches successives

La philosophie du Dôme d’acier repose sur la superposition. Chaque danger trouve sa réponse dans une brique technologique dédiée. Voici, schématiquement, la structure de l’édifice :

Niveau Altitude Armement Portée
Ultra-basse 0–1 km KORKUT, BURÇ, ŞAHİN jusqu’à 1,2 km
Basse 1–4 km GÜRZ, canons 35 mm, C-RAM 4 km
Moyenne 4–25 km HİSAR-A, HİSAR-O, Sungur 8 à 40 km
Haute 25–180 km SİPER Block I à III 100 à 180 km

Chaque étage intègre non seulement des munitions cinétiques mais aussi des moyens de guerre électronique. Le système KORAL détecte et brouille les radars ennemis. KANGAL et İHTAR paralysent les drones avant même qu’ils ne soient visibles à l’œil nu. Un canon électromagnétique, EJDERHA, est en cours d’intégration pour neutraliser les cibles par impulsion dirigée.

Une constellation de radars pour couvrir le ciel

Pas de tir sans œil. Le Dôme d’acier repose sur un ensemble de radars adaptés à chaque mission. Certains, comme l’AURA 100-G, sont spécialisés dans la détection de drones. D’autres, comme le STR 400-G, suivent les obus d’artillerie en vol. D’autres encore, comme l’AKREP 1000-G, guident les missiles SİPER vers leur cible.

Radar Mission Plage
AURA 100-G C-UAS et basse altitude 1–10 km
KALKAN 200-G HİSAR-A & KORKUT 10–30 km
ALP 310-G Multirôle longue portée jusqu’à 300 km
AKREP 1000-G Contrôle de tir SİPER stratégique

L’architecture est pensée comme un réseau vivant. Chaque système communique avec l’autre. Une attaque de drone, par exemple, peut être d’abord repérée par un radar au sol, suivie par un capteur infrarouge sur drone AKINCI, brouillée à distance par KORAL, puis abattue par un canon GÜRZ.

Des usines en extension, une industrie sous tension

Pour que le Dôme d’acier ne reste pas une vitrine, il faut des chaînes de production. À Gölbaşı, 6,5 millions de mètres carrés ont été consacrés à la future base Oğulbey. C’est l’équivalent de 900 terrains de football, destinés uniquement à la défense aérienne.

À côté, 14 nouvelles installations ont vu le jour : centre d’intégration radar, hangar avionique, bureau de conception pour les systèmes guidés. Montant total de l’investissement : 1,4 milliard d’euros. Objectif : produire en série, former les ingénieurs, tester, assembler, livrer.

L’écosystème industriel s’étend sur cinq grands noms turcs :

  • ASELSAN : radars, capteurs, liaison réseau
  • Roketsan : missiles et intercepteurs
  • HAVELSAN : logiciels de commandement
  • TÜBİTAK-SAGE : têtes chercheuses, guidage
  • MKE : munitions et artillerie

Au début des années 2000, 80 % du matériel turc était importé. Aujourd’hui, ce chiffre serait tombé à environ 20 %.

Une réponse politique à des frustrations stratégiques

Ce bouclier, Ankara ne le doit pas qu’à la technologie. Il est né d’un refus américain : celui de livrer des batteries Patriot. Puis d’un scandale : l’achat par la Turquie de S-400 russes, incompatible avec les systèmes OTAN. Résultat : mise à l’écart de certains programmes, tensions diplomatiques, et une accélération spectaculaire de la recherche locale.

Depuis son lancement officiel en 2024, le Dôme d’acier a progressé à marche forcée. En 12 mois, les premiers prototypes sont devenus opérationnels. L’intégration se fait désormais sur le terrain, par vagues successives. Les sites sensibles, comme Istanbul, les raffineries, ou les bases aériennes de Konya, sont prioritaires.

L’armée turque n’exclut pas une mutualisation future avec d’autres pays musulmans ou non-alignés. Le Pakistan, le Qatar, l’Azerbaïdjan suivent de près. Certains en Europe aussi, officieusement.

Un message clair au Moyen-Orient et au-delà

Le contexte géopolitique ne laisse place à aucun doute. Le lancement du Dôme d’acier survient alors que Gaza s’embrase, que les drones iraniens survolent la mer Caspienne, que le Hezbollah renforce son arsenal au sud-Liban. Dans cette équation, Ankara se positionne non plus en spectateur, mais en acteur.

Le Dôme d’acier, ce n’est pas qu’un outil militaire. C’est une doctrine. Il affirme que l’espace aérien turc est non-négociable. Que toute tentative d’attaque, depuis un drone kamikaze jusqu’à un missile hypersonique, rencontrera une réponse immédiate, automatisée, ininterrompue.

Avec des couches de défense capables d’intercepter à 1, 10, 100 ou 180 kilomètres, la Turquie veut démontrer qu’elle peut défendre seule ses villes, ses infrastructures énergétiques, et ses bases avancées. Et à terme, proposer à d’autres ce savoir-faire, à l’exportation.

Source : https://www.hurriyetdailynews.com/erdogan-hails-steel-dome-project-as-turning-point-212973

Image : Un C-RAM turque

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