L’US Navy copie les Israéliens et les Néerlandais pour bâtir sa future armada amphibie.
En abandonnant un projet pourtant jugé prioritaire, la marine américaine a choisi la voie de la simplicité : acheter sur étagère deux modèles étrangers pour créer ses nouveaux navires de débarquement. Le programme LSM, censé révolutionner les opérations amphibies du corps des Marines, s’appuiera désormais sur des plans israéliens et néerlandais. Une stratégie pragmatique née d’un échec budgétaire, mais qui pourrait bouleverser l’équilibre naval dans l’Indo-Pacifique.
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Des ambitions réduites à coups de ciseaux budgétaires pour l’US Navy
Initialement, le projet était ambitieux. L’US Navy voulait concevoir de zéro un navire amphibie de taille moyenne, destiné aux Marines opérant dans les îles et les littoraux contestés du Pacifique. Cette classe, baptisée LSM (Landing Ship Medium), devait combiner mobilité, protection et capacité d’appui logistique à bas coût.
Mais fin 2024, la réalité s’est imposée : les appels d’offres ont explosé les plafonds budgétaires. L’état-major a donc tranché. Exit la conception sur-mesure. À la place, une stratégie dite CNDI (Commercial/Non-Developmental Item), autrement dit : acheter des plans existants, déjà éprouvés, à adapter rapidement. Un moyen de gagner du temps, de l’argent et de limiter les risques industriels.
Deux modèles étrangers, un même objectif
Deux modèles seulement ont été jugés viables :
- ILSV (Israeli Logistics Support Vessel), déjà livré par Bollinger Shipyards aux forces israéliennes
- LST-100 de Damen Naval, utilisé par le Nigeria et retenu par l’Australie
Les deux designs ont été acquis par la NAVSEA (Naval Sea Systems Command) à l’été 2025, accompagnés de leurs TDP (dossiers techniques) et licences de production. Le chantier Bollinger, basé à Pascagoula (Mississippi), construira le premier exemplaire, baptisé USS McClung (LSM-1).
Caractéristiques estimées des LSM sélectionnés :
Modèle | Origine | Longueur | Déplacement | Capacité |
---|---|---|---|---|
ILSV | États-Unis / Israël | ≈ 95 mètres | ≈ 2 500 tonnes | ≈ 120 soldats + véhicules |
LST-100 | Pays-Bas | ≈ 100 mètres | ≈ 2 300 tonnes | ≈ 130 soldats + véhicules |
Chaque navire prendra 32 à 36 mois à construire. Le budget initial pour neuf LSM est de 1,96 milliard de dollars, soit environ 1,8 milliard d’euros, demandé dans le projet de loi de finances 2026.
Une chaîne 100 % américaine pour accélérer les délais
Le choix du design israélo-américain n’est pas seulement stratégique, il est aussi réglementaire. Pour bénéficier du financement via les crédits SCN (Shipbuilding and Conversion, Navy), les navires doivent être construits aux États-Unis.
Bollinger, qui a déjà livré deux ILSV à Tel Aviv en 2023–2024, présente l’avantage d’avoir déjà produit ce modèle selon les normes américaines. L’expérience acquise devrait réduire les risques d’intégration, notamment sur les questions d’équipements, de métriques, et de standardisation OTAN.
La NAVSEA insiste : produire localement, sur plan existant, c’est éviter les retards et les surcoûts qui ont plombé d’autres programmes comme les LCS ou les Zumwalt. Un réalisme budgétaire assumé, doublé d’une volonté de livrer vite, face à l’urgence stratégique du théâtre indo-pacifique.
Une guerre des chantiers s’annonce en coulisses
Un appel à manifestation d’intérêt a été lancé le 6 août 2025 pour recruter un maître d’ouvrage privé chargé de coordonner la construction (VCM – Vessel Construction Management). Son rôle :
- Sélection des chantiers américains à mobiliser
- Suivi du calendrier et des performances
- Négociation des contrats et des composants critiques
- Garantie de la qualité et du respect des spécifications
L’US Navy prévoit de construire jusqu’à huit navires dans un premier lot, avec options pour 18 à 35 unités au total. Objectif affiché : livrer l’ensemble en moins de six ans après la désignation du VCM. Plusieurs chantiers sont attendus en compétition : Bollinger, Austal USA, Halter Marine, voire Fincantieri Marinette.
Un besoin tactique porté par le nouveau visage des Marines
Les LSM ne sont pas destinés à des opérations massives, mais à des actions discrètes, rapides, modulaires. Ils doivent appuyer les MLR (Marine Littoral Regiments), ces nouvelles unités américaines capables de s’infiltrer dans les archipels du Pacifique, de se déployer rapidement avec de l’armement, du ravitaillement, voire des lanceurs de missiles.
Ces navires offriront :
- Un accès plage direct, sans infrastructure portuaire
- Une capacité amphibie légère, adaptée aux zones disputées
- Une interopérabilité accrue avec les forces alliées de la région
La présence de plusieurs clients étrangers pour le LST-100 (Nigeria, Australie) renforce en outre les perspectives de soutien logistique en mer sur plusieurs théâtres, selon la NAVSEA.
Une politique industrielle entre repli et efficacité
Le programme LSM est né d’un renoncement : celui de développer une solution sur-mesure, adaptée aux besoins futurs. À la place, les États-Unis misent sur le réalisme et la rapidité, dans un contexte de tensions croissantes avec la Chine.
Pour certains, c’est la fin d’une certaine idée d’innovation navale américaine. Pour d’autres, c’est le retour au bon sens, à l’image de ce que fait la Turquie en matière de frégates ou la Corée du Sud avec ses drones. Le modèle du “tout neuf, tout complexe” a montré ses limites. À l’heure où les conflits s’accélèrent, le Pentagone cherche l’efficacité, pas le prestige.
Source : https://news.usni.org/2025/01/29/report-to-congress-on-navy-medium-landing-ship-7
Image : LST-100 de Damen Naval