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La plus grosse « gaffe » de l’armée américaine au XXIè siècle a coûté l’équivalent de 64,5 millions d’euros au contribuable, heureusement sans faire de victime

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Guillaume Aigron

Guillaume Aigron

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Une approche nocturne qui vire au cauchemar en mer Rouge. La scène se déroule dans la nuit noire du 22 décembre 2024. Un F/A-18F Super Hornet descend vers le porte-avions …

La plus grosse « gaffe » de l'armée américain au XXIè siècle a couté l'équivalent de 64,5 millions d'euros au contribuable, heureusement sans faire de victime

Une approche nocturne qui vire au cauchemar en mer Rouge.

La scène se déroule dans la nuit noire du 22 décembre 2024. Un F/A-18F Super Hornet descend vers le porte-avions Harry S. Truman après une mission de ravitaillement. Le pilote observe d’abord une traînée de feu grimper vers le ciel, comme un éclair qui aurait choisi la mauvaise direction. Un Standard Missile-2. Un SM-2 lancé depuis l’USS Gettysburg.

Pendant une seconde, l’équipage croit assister à l’interception d’un drone ennemi. L’espace de quelques battements de cœur, la situation semble presque logique dans cette mer Rouge saturée de de drones et peccadilles du même genre. Mais soudainement voilà que missile change d’angle. Il fonce vers eux !

Le Weapon Systems Officer (ou WSO, officier systèmes d’armes chez nous) lâche un « Je le vois venir » qui sonne comme un constat d’impuissance. Quelques instants plus tard, les deux aviateurs arrachent les poignées d’éjection. Le Super Hornet est pulvérisé pour un  coût compris entre 65 et 75 millions de dollars (entre 55,9 et 64,5 millions d’euros).

Cette nuit-là, un deuxième F/A-18 manque de rejoindre le premier. Un autre missile part du Gettysburg, zigzague, corrige sa course et passe finalement à un souffle de l’appareil. Une seconde de plus, et deux équipages auraient fini dans l’eau.

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La nuit où l’USS Gettysburg a vu des ennemis parmi les siens

L’enquête raconte une histoire qui dépasse largement une erreur de ciblage. Elle montre un navire comme déconnecté de sa propre meute, un peu comme un chien de berger revenu trop tard parmi les siens, incapable de reconnaître ses propres moutons.

Le Gettysburg n’a accompagné son groupe de combat que 7 jours sur les 45 précédant l’incident. Seulement 15 % du temps. Une parenthèse opérationnelle qui n’a rien d’anodin. Car le croiseur avait un rôle central : la défense aérienne du groupe.

Moins d’entraînement intégré, moins de planification commune, moins de cohésion. Le jour où les tirs Houthis pleuvent sur la flotte, les équipes du croiseur doivent reprendre un tempo auquel elles ne sont plus accordées. Et tout se joue dans une atmosphère saturée de stress, de radars surchargés, de procédures bousculées.

Le missile américain est l’aboutissement d’un engrenage de petites failles accumulées.

Le CIC, ce cerveau qui vacille

Au cœur du problème, on retrouve le Combat Information Center, ce ventre obscur du navire où s’assemble la réalité tactique.

Cette nuit-là, plusieurs pièces étaient défaillantes.

  • L’IFF, censé identifier les alliés, tombait en panne par intermittence,
  • le Link-16, qui relie les unités dans une même toile d’information, se déconnectait régulièrement,
  • l’E-2D Hawkeye, l’œil volant censé clarifier la situation, remontait lui aussi des perturbations radar,
  • même le SPY-1 du croiseur avait dû réduire sa couverture pendant la récupération d’un hélicoptère.

On imagine les opérateurs devant leurs écrans comme des guetteurs cherchant un visage connu à travers une vitre embuée. Dans ces conditions, le Super Hornet a fini par ressembler, sur les radars, à une menace houthie déjà observée quelques heures plus tôt.

La mécanique du doute s’est mise en route et lorsqu’un doute se glisse dans une chaîne de décision, on peut craindre le pire… ce qui a fini par arriver.

Des procédures qui se délitent, une équipe qui ne se soutient plus

L’enquête pointe aussi des gestes qui n’ont pas été faits. Des vérifications oubliées, des appels de cessez-le-feu non entendus, un commandement isolé, en perte de vision d’ensemble.

Le rapport décrit une scène presque étouffante : un commandant pris dans un flot d’informations incomplètes, des officiers incapables de rétablir une image claire, une cohérence d’équipe qui se délite au moment où elle devait tenir.

Le missile part dans un contexte où chaque acteur croit agir conformément à ce qu’il voit. Sauf que chacun voit autre chose.

Ce soir-là, le Gettysburg a donc tiré sur une illusion née d’un faisceau d’erreurs, techniques et humaines.

Un F/A-18F Super Hornet de l’U.S. Navy comme celui qui a été abattu.
Un F/A-18F Super Hornet de l’U.S. Navy comme celui qui a été abattu.

Un effort technique massif pour éviter que cela ne se reproduise

La Navy a rapidement constaté que ces failles ne touchaient pas seulement le Gettysburg. Plus de 30 bâtiments de surface engagés en mer Rouge faisaient face à des problèmes similaires sur leurs systèmes Aegis.

Le chantier correctif a été immense :
55 millions d’euros investis depuis l’incident pour réécrire des pans entiers de logiciels, stabiliser l’IFF, fiabiliser Link-16, corriger les corrélations entre capteurs.

L’armée américaine a aussi lancé une refonte complète de son entraînement :
15 nouvelles initiatives, dont un renforcement du travail intégré entre navires et un retour à des exercices plus réalistes pour les équipes du CIC.

Ces mesures ressemblent un peu à la révision générale d’un orchestre après une cacophonie. On remet les pupitres au même niveau, on vérifie que chacun lit la même partition, et surtout que chacun entend l’autre.

Un commandant tenu responsable, dans un silence qui interroge

Le rapport est clair sur un point : la décision finale de tirer ne reposait sur aucune vision complète de la situation. Le commandant du Gettysburg, Capt. Justin Hodges, a été relevé de ses fonctions un mois plus tard.

Son nom n’apparaît pas dans le rapport. Aucun autre non plus. La Navy a choisi d’effacer les identités, de garder les sanctions derrière une porte fermée. Elle dit avoir « pris les mesures nécessaires ».

Cette opacité laisse une drôle d’impression. Comme un récit où certains personnages ont été effacés alors que leur rôle était déterminant. L’enquête montre pourtant qu’une chaîne entière a failli, depuis les systèmes jusqu’aux procédures.

Ce soir-là, le Gettysburg n’a pas seulement perdu un avion allié. Il a perdu sa capacité à dire qui était ami et qui était ennemi.

Le précédent : le jour où l’US Navy a tiré sur le président américain

L’histoire navale américaine n’est pas avare en épisodes où la confusion a transformé un exercice ou une manœuvre en catastrophe évitable. Le cas le plus célèbre reste celui du destroyer USS William D. Porter (DD-579), devenu une sorte de légende noire dans la flotte. En novembre 1943, ce navire avait, lors d’un entraînement, lancé par erreur une torpille en direction du cuirassé USS Iowa à bord duquel se trouvait le président Roosevelt. L’équipage avait tenté d’avertir l’Iowa, déclenchant une séquence de signaux d’alerte improvisés qui ressemblaient à un mauvais vaudeville, avant que la torpille n’explose finalement sans faire de victime.

D’autres incidents ont suivi au fil des décennies, souvent liés à des capteurs défaillants ou à des chaînes de décision saturées. Ces histoires rappellent une vérité simple : quand un navire de guerre se trompe d’ennemi, ce n’est jamais un geste isolé. C’est le produit d’une mécanique qui se grippe, d’un cumul de tensions, d’erreurs humaines, de systèmes fatigués et de moments où le brouillard de guerre devient littéralement opaque.

Source : https://www.twz.com/air/how-uss-gettysburg-shot-down-a-super-hornet-and-nearly-another

Image de mise en avant : L’USS Gettysburg CG-64 quitte Helsinki le 7 novembre 2024 – Crédit : KevinVD (Wikimedia Commons)

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