Le futur char britannique déjà dépassé ? Le rapport qui inquiète Londres .
Un char flambant neuf, des ambitions affichées, un prototype qui attire les caméras… et pourtant, une inquiétude grandissante. Le Challenger 3, censé incarner la renaissance blindée du Royaume-Uni, n’a pas encore rejoint les régiments que certains analystes parlent déjà d’« obsolescence proche » !
À Bovington, les essais se poursuivent, mais les doutes s’accumulent : poids, protection, motorisation, doctrine.
Et dans l’ombre du CR3, un autre fantôme plane : celui de l’Ajax, programme calamiteux qui hante encore l’armée britannique.
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Challenger 3, un char brillant sur le papier, fragile dans le réel
Londres affiche pourtant sa confiance. Entre 2027 et 2030, les premiers Challenger 3 doivent rejoindre les unités opérationnelles. À DSEI, le blindé impressionne : nouveau canon lisse 120 mm, viseurs modernisés, capteurs digitaux, blindage révisé. Sur le papier, la bête a de quoi rassurer une armée qui n’a pas renouvelé ses chars depuis près de trente ans.
Mais derrière la vitrine technologique, le nombre interroge : 148 exemplaires, à peine de quoi équiper deux brigades allégées. Plus troublant encore : 60 systèmes de protection active seulement, à répartir dans toute la flotte. Sur un champ de bataille saturé de drones suicides, d’artillerie guidée et de munitions rôdeuses, cette parcimonie ressemble à une prise de risque calculée… ou à un aveu de moyens réduits.
Un mastodonte à la motorisation d’hier
Le moteur du CR3 cristallise les critiques. L’armée britannique conserve le bloc 1 200 ch du Challenger 2. Or si le char approche les 80 tonnes une fois prêt au combat, la question de sa mobilité devient centrale. Les équipages ukrainiens, qui ont utilisé des Challenger 2 fournis par Londres, l’ont déjà qualifié d’« sous-motorisé ».
Ce poids pose d’autres problèmes :
- les dépanneurs capables de tracter un tel engin sont rares,
- les ponts militaires britanniques n’ont pas été conçus pour soutenir autant de masse,
- la logistique explose dès que le char quitte les pistes.
L’ombre de l’Ajax : le précédent qui fait peur
Au Royaume-Uni, tout programme de blindé est désormais comparé à l’Ajax. L’échec monumental. Le casse-tête industriel. Les 31 soldats hospitalisés après des essais marqués par des vibrations extrêmes. Les 6,1 milliards de livres engloutis en quinze ans sans qu’aucun véhicule ne soit jugé opérationnel.
L’Ajax est devenu une leçon nationale : un blindé peut être moderne, cher, bardé de technologies… et pourtant inutilisable. Les critiques du Challenger 3 craignent un scénario similaire, non pas pour des raisons mécaniques, mais doctrinales : développer un char massif alors que la guerre change de nature risque de figer l’armée dans un modèle dépassé.
Le champ de bataille n’est plus frontal, il est sphérique
Les guerres d’Ukraine et du Haut-Karabakh ont renversé des décennies de certitudes. Jadis, on renforçait le blindage frontal, convaincu que la menace viendrait d’en face. Aujourd’hui, la plupart des chars sont détruits par le dessus, frappés par des drones bon marché ou des missiles top-attack. Les menaces arrivent aussi par le dessous, via charges gouvernées ou mines intelligentes.
C’est ce que les analystes appellent le « spectre de menace sphérique ». Un concept simple, mais qui annihile l’idée même de « blindage frontal dominant ».
Dans ce nouveau paradigme, la masse devient un fardeau, pas une garantie. Le Challenger 3 porte l’héritage d’un siècle de design : tourelle habitée, silhouette haute, équipage installé au-dessus du panier de tourelle. Une architecture que beaucoup jugent désormais datée.
Vers une nouvelle génération : légère, compacte, téléopérée
Un consensus se dessine parmi les ingénieurs européens : la prochaine génération de chars devra être plus légère, 45 à 50 tonnes, dotée de tourelles téléopérées, d’équipages encapsulés dans la caisse, protégés par des systèmes actifs multicouches et des contre-mesures anti-drone.
Le modèle n’est plus le Leopard 2 ou l’Abrams, mais une architecture plus proche du T-14 russe, avec compartiment de survie, silhouette basse, centre de gravité optimisé. Ce changement n’est pas esthétique : il découle de la guerre elle-même.
Le CR3 pourrait être un très bon char mais il pourrait aussi être le dernier d’une lignée en voie d’extinction, le « dernier des mammouths ».
L’Europe avance : MGCS tarde, MARTE émerge, Londres hésite
Alors que le procédé industriel britannique s’essouffle, l’Europe continentale bouge. Le programme franco-allemand MGCS avance à pas lents, miné par les divergences doctrinales. Les premiers prototypes ne sont pas attendus avant les années 2040.
En revanche, le projet MARTE, conduit par l’Allemagne avec dix pays européens et la Norvège, avance plus vite. L’idée : un char de 60 à 65 tonnes, canon 130 mm, tourelle téléopérée, équipage de trois soldats protégés dans la caisse. Une architecture plus moderne, pensée pour l’ère des drones.
Plusieurs experts estiment que le Royaume-Uni devrait cesser de faire cavalier seul et rejoindre MARTE. Londres y gagnerait l’accès à une chaîne industrielle européenne, une plateforme moderne et une production locale possible. Le Challenger 3 serait alors un intérimaire, non un aboutissement.
Source : https://ukdefencejournal.org.uk/britains-next-tank-may-be-last-of-the-old-breed
Image de mise en avant : Un Challenger 3 de pré-série exposé lors du DVD2024, un salon de l’équipement de défense organisé au Millbrook Proving Ground, en septembre 2024.