comment l’Ajax est devenu un gouffre sans fond pour l’armée.
Quinze ans de travail, 6,1 milliards de livres (env 7 milliards d’euros) dépensés, et toujours pas un seul véhicule opérationnel. L’Ajax, censé symboliser la renaissance de la cavalerie blindée britannique, accumule scandales, blessures et rapports enterrés.
Après une nouvelle série d’incidents, l’armée a stoppé les essais, envoyant à l’hôpital 31 soldats victimes de vibrations extrêmes.
Une vérité brutale s’impose désormais : seul une refonte complète de la coque pourrait sauver l’Ajax, si tant est qu’il puisse encore être sauvé.
Lire aussi :
- Avec l’Altay et ses 65 tonnes dont elle a commencé la production en série, la Turquie rejoint un club très fermé : celui des pays producteurs de chars lourds
- Le char le plus redouté de la planète revient en version furtive, le premier réellement prêt pour l’ère des drones tueurs et pensé pour dominer les 50 prochaines années
L »Ajax, la promesse brisée d’un blindé « du futur » pour l’armée britannique
Quand le Royaume-Uni lance à la fin des années 2000 son ambitieux programme destiné à remplacer les CVR(T), l’enthousiasme est réel. Le cahier des charges parle de capteurs fusionnés, de systèmes digitaux embarqués, d’un blindé pensé pour la guerre de demain. Plus de 1 000 points sont rédigées, une montagne d’objectifs pour un véhicule dérivé de la plate-forme ASCOD, conçue à l’origine pour 19 tonnes. On lui en demandera bientôt 36 tonnes, puis 43 tonnes avec les kits de blindage.
Le résultat ? Un châssis saturé, une mécanique qui souffre, et un programme qui prend un retard tel que les ingénieurs commencent à produire… avant même que la définition finale du véhicule n’ait été figée. Un raccourci dans le processus CADMID qui deviendra vite un piège.
Les premiers signaux d’alarme, vite étouffés
En coulisses, les ennuis techniques apparaissent bien avant qu’on ne l’apprenne. Dès 2020, les essais sont suspendus dans la discrétion la plus totale. L’Institut de Médecine Navale reçoit la mission d’enquêter : bruits excessifs, vibrations anormales, risques auditifs sérieux. Leur rapport, explosif, ne sera diffusé ni aux unités, ni même à certains responsables politiques.
Malgré ces avertissements, les essais reprennent en 2021. Le résultat est catastrophique : soldats pris de vomissements, tremblements, bourdonnements continus dans les oreilles. Des blessures irréversibles sont diagnostiquées. Le scandale éclate, les ministres tombent des nues, et une enquête officielle – le Sheldon Report, expose la chaîne d’erreurs et de non-dits qui a miné le programme.
Le retour du cauchemar en 2025
En novembre 2025, l’armée annonce fièrement que l’Ajax a atteint une capacité opérationnelle initiale. Quelques semaines plus tard, les cavaliers reviennent à l’infirmerie. 31 soldats hospitalisés, les mêmes symptômes, les mêmes vibrations meurtrières. Le programme replonge.
Les tentatives de « rustines » ne trompent plus personne : sièges rembourrés, casques antibruit, plaques métalliques soudées à la hâte pour calmer les secousses… rien n’y fait. Le cœur du problème reste là : un véhicule trop lourd pour sa plate-forme, et une architecture mécanique incapable d’encaisser les efforts exigés.
Quinze ans après le début du programme, aucun blindé n’est donc jugé apte à être déployé.
L’ombre du M10 Booker : ce qu’aurait pu être Ajax
L’information circule en interne depuis des années, mais elle est désormais assumée : General Dynamics a construit le véhicule qu’Ajax aurait dû être… mais pour l’armée américaine.
C’est le M10 Booker, un blindé de 38,5 tonnes, doté d’une coque repensée, d’un moteur Rolls-Royce/MTU de 800 ch placé à l’avant, et d’une suspension hydropneumatique Horstman, la même que recommandait l’Armoured Trials & Development Unit pour sauver Ajax. Le Booker embarque un canon de 105 mm, bien plus puissant que le canon CT40 de l’Ajax.
Problème : Booker n’est pas une version améliorée de l’Ajax, mais un véhicule entièrement nouveau. Et son acquisition coûterait environ 11 millions de livres par unité. Remplacer la flotte Ajax coûterait donc environ 6,5 milliards de livres, sans les variantes spécialisées.
Un blindé devenu inutile face au champ de bataille moderne
Même si Ajax fonctionnait, l’armée britannique se demande aujourd’hui s’il correspond encore à la guerre telle que l’Ukraine la révèle. Les blindés avancent rarement seuls, les drones règnent sur la reconnaissance, et les brouillages imposent des machines plus furtives, plus compactes, plus silencieuses.
La cavalerie britannique, elle, n’a plus confiance dans un blindé devenu symbole de déception.
Le verdict sans appel : annuler le programme
Une solution existerait mais elle est politiquement inacceptable : redessiner la coque, les attaches moteur, et tout le train de roulement, exactement comme l’ATDU l’avait recommandé en 2020. Une refonte lourde, coûteuse, longue.
L’alternative est radicale : annuler Ajax et basculer vers une solution existante, comme le Boxer RCT30, un 8×8 éprouvé, armé, modulaire, et déjà utilisé par plusieurs armées européennes. Plus tard seulement, le Royaume-Uni pourrait investir dans un nouveau véhicule de combat chenillé, que ce soit le Puma allemand ou le KF41 hongrois.
Quelle que soit l’issue, une certitude demeure : Ajax restera dans l’histoire britannique comme l’un des exemples les plus éclatants de dérives programmatiques, de retards chroniques, et de milliards engloutis sans résultat opérationnel.
Tableau récapitulatif des blindés évoqués dans l’article
| Élément | Ajax | M10 Booker | Boxer RCT30 |
|---|---|---|---|
| Type | Véhicule de reconnaissance chenillé | Char léger | Véhicule 8×8 armé |
| Poids | 36–43 tonnes | 38,5 tonnes | 33–36 tonnes |
| Moteur | Non dévoilé, problèmes de vibrations | 800 ch (Rolls-Royce/MTU) | 720–750 ch selon versions |
| Armement | Canon CT40 (40 mm) | Canon 105 mm | Canon 30 mm (RCT30) |
| Problème principal | Vibrations, bruit, dérive de poids | Programme annulé aux USA | Pas de version chenillée |
| Coût estimé | 6,1 milliards £ dépensés, aucun véhicule opérationnel | ≈11 millions £ / unité | ≈7–8 millions £ / unité |
| Viabilité | Jugé irréparable sans refonte totale | Plateforme prête mais sans export | Solution immédiate et éprouvée |
Source : https://www.bbc.com/news/articles/cj9y0l7j1nwo
Image : Un Ajax en exercice à Bovington Camp (en) en 2024.