Ce bombardier furtif devait tout changer pour l’US Navy. Il n’a jamais volé.
Pensé pour dominer les mers et frapper dans l’ombre, l’A-12 Avenger II s’est effondré sous son propre poids. Retour sur l’échec d’un projet à plusieurs milliards d’euros qui révèle les failles profondes de l’industrie de défense américaine.
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Un pari technologique qui défie les limites
Dans les années 1980, la marine américaine cherchait à remplacer l’A-6 Intruder, vieillissant et trop vulnérable face aux défenses antiaériennes modernes. L’ambition était claire : créer un bombardier furtif, capable d’opérer depuis un porte-avions et d’atteindre des cibles stratégiques sans être détecté. Le programme Advanced Tactical Aircraft (ATA) donne naissance à l’A-12 Avenger II, un avion à la forme triangulaire surnommé “flying dorito”.
Des exigences contradictoires impossibles à concilier
Pour être à la fois furtif et opérationnel en mer, l’appareil devait combiner des équipements lourds et robustes avec des matériaux légers absorbant les ondes radar. Cette équation s’est rapidement transformée en cauchemar industriel. Le poids de l’A-12 grimpe de 30 % par rapport aux spécifications d’origine, menaçant sa capacité à être catapulté depuis les ponts des porte-avions.
Le mur technologique des matériaux composites
Les concepteurs misaient sur des composites avancés, encore peu maîtrisés, pour réduire la signature radar de l’avion. Problème : ces matériaux résistent mal à l’environnement marin. Le sel, l’humidité et les chocs thermiques dégradent les revêtements furtifs. Il fallait presque réinventer la manière de construire un avion, ce que ni McDonnell Douglas ni General Dynamics ne savaient faire à l’époque.

Une spirale budgétaire incontrôlable
Fixé par un contrat à prix fermé, le coût du programme était censé être maîtrisé. En réalité, les dépassements s’enchaînent. En 1990, il absorbe jusqu’à 70 % du budget d’acquisition aérienne de la Navy. Et toujours aucun prototype en vol. L’administration américaine commence à douter. En janvier 1991, Dick Cheney, alors Secrétaire à la Défense, annule le programme pour “manquements contractuels”.
Le contexte mondial bascule
Au même moment, l’Union soviétique s’effondre, entraînant avec elle une baisse drastique des budgets défense. Le projet A-12, conçu pour une guerre froide intense, devient anachronique. Plus de 4,5 milliards d’euros partent en fumée, et la Navy se tourne vers des solutions moins ambitieuses mais plus réalistes, comme le Super Hornet.

Les leçons douloureuses d’une ambition démesurée
Derrière l’échec technique se cache un échec institutionnel. Faible supervision, double chaîne de commandement, culture du secret entre industriels concurrents, absence de mécanismes de correction : l’A-12 a souffert d’un écosystème incapable d’absorber l’innovation à ce niveau. Le projet n’était pas trop ambitieux pour la science, mais pour la méthode américaine de développement.
Une ombre qui plane encore aujourd’hui
Trente ans plus tard, les débats sur le retour des bombardiers furtifs embarqués ressurgissent. Des drones de combat, des avions de sixième génération, des plateformes intelligentes… toutes ces pistes doivent retenir les leçons du passé. Car “la furtivité en mer” ne se limite pas à un avion : c’est un système global, du pont à l’usine.
Source : NSJ