La Chine dévoile un avion cargo sans pilote de 60 tonnes : la logistique aérienne entre dans une nouvelle ère.
Ni cockpit, ni pilote, ni cabine pressurisée et pourtant, il pourrait transporter un hélicoptère entier ou un véhicule blindé à travers un champ de bataille. La Chine vient de présenter, à Tianjin, le concept du Ibis Shadow 60, un mastodonte de 60 tonnes entièrement automatisé, destiné au transport stratégique. C’est plus qu’un avion : c’est une déclaration d’intention. Pékin veut désormais que ses cargaisons volent sans équipage.
Cette maquette, dévoilée lors du 7e Salon de l’hélicoptère de Chine, pourrait bien annoncer le début d’une révolution silencieuse : celle du fret aérien autonome, civil et militaire confondus.
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Le rêve d’un transport sans pilote pour la Chine avec l’Ibis Shadow 60
La scène se passe à Tianjin. Au centre du hall, un modèle réduit attire les regards : une silhouette massive, quatre turbopropulseurs, un fuselage familier. Les spécialistes reconnaissent immédiatement la base de l’appareil : le Y-9, l’avion de transport militaire déjà en service dans l’Armée populaire de libération (APL).
Mais cette fois, plus de verrière, plus de cockpit. Le nez du fuselage est lisse, fermé, et les hublots ont disparu. À la place : des capteurs, des antennes et des modules de communication. Le concept, baptisé Ibis Shadow 60, promet un décollage à plus de 60 tonnes, faisant de lui le plus grand drone cargo jamais envisagé.
Le projet est signé Shaanxi Aircraft Corporation, filiale du géant aéronautique public AVIC, la même entreprise qui fabrique les Y-8 et Y-9. Selon les ingénieurs présents sur le stand, le nouvel appareil devrait pouvoir transporter des véhicules blindés, des conteneurs de ravitaillement, voire des hélicoptères légers.
Une machine née du Y-9, mais pensée pour l’autonomie
Le choix du Y-9 comme base n’est pas anodin. L’appareil, entré en service dans les années 2010, est réputé pour sa robustesse et sa capacité à opérer sur des pistes courtes ou sommaires. Le Ibis Shadow 60 reprend sa cellule et ses moteurs, mais réinvente tout le reste.
Le cockpit, les sièges, la pressurisation et les systèmes de survie ont été supprimés, libérant ainsi des centaines de kilos pour la charge utile et l’électronique embarquée. À la place, l’avion embarquera une suite d’intelligence artificielle, capable de gérer la navigation, la détection d’obstacles et le contrôle de vol de manière totalement autonome ou via télépilotage longue distance.
Comparaison entre le Y-9 et le concept Ibis Shadow 60 :
Caractéristiques | Y-9 (version pilotée) | Ibis Shadow 60 (version autonome) |
---|---|---|
Masse au décollage | 65 tonnes | 60 tonnes |
Équipage | 4 à 6 membres | Aucun (autonome ou télépiloté) |
Charge utile estimée | 25 tonnes | 30 tonnes |
Rôle principal | Transport tactique | Transport stratégique ou logistique sans pilote |
Motorisation | 4 turbopropulseurs WJ-6C | 4 moteurs identiques, pilotés électroniquement |
En supprimant l’équipage, les ingénieurs espèrent simplifier la maintenance et prolonger les missions au-delà des limites humaines. Un opérateur au sol pourrait ainsi gérer plusieurs appareils à la fois, chacun capable de décoller, livrer et revenir de manière automatique.
Un outil militaire aux usages civils assumés
Le Ibis Shadow 60 n’est pas seulement un projet militaire. Il incarne la volonté chinoise de fusionner la logistique civile et la projection militaire. Un drone capable de livrer des vivres dans une zone sinistrée pourrait, en d’autres circonstances, acheminer des véhicules blindés sur un front difficile d’accès.
Les responsables d’AVIC évoquent une palette d’usages allant de la livraison d’urgence humanitaire jusqu’à la réparation rapide d’une base avancée. Son volume interne permettrait de transporter un véhicule blindé léger, des drones, ou des palettes de matériel médical.
En cas de conflit, un tel appareil pourrait opérer dans des zones contestées sans risquer de vies humaines. Il suffirait d’un terrain dégagé de quelques centaines de mètres pour déposer sa cargaison avant de repartir en mode autonome.
Une réponse à un défi mondial
La Chine n’est pas seule à s’intéresser aux drones cargos lourds, mais elle semble avoir pris une longueur d’avance. Les États-Unis travaillent sur des concepts plus modestes comme le Logistic Glider ou des C-130 semi-autonomes, tandis que l’Europe explore la piste du drone A400M “optionnellement piloté”.
L’Ibis Shadow 60, lui, franchit une étape symbolique : l’autonomie complète sur un avion de transport de 60 tonnes, un seuil que ni Boeing ni Lockheed Martin n’ont encore tenté de dépasser.
Les motivations sont claires :
- Réduire les risques humains lors des missions de ravitaillement ;
- Opérer dans des zones saturées en menaces antiaériennes ;
- Réduire les coûts de maintenance et de formation des équipages ;
- Étendre la portée logistique des forces chinoises.
Selon des sources proches de l’APL, ce projet s’inscrit dans une stratégie plus vaste visant à créer une “chaîne logistique sans pilote”, combinant drones terrestres, aéronefs autonomes et navires automatisés.
Le poids du symbole
Derrière l’aspect futuriste de la maquette, le message politique est limpide : la Chine se positionne désormais comme le premier pays à industrialiser le transport aérien sans équipage lourd. Pour Pékin, c’est une démonstration de puissance technologique autant qu’un outil de dissuasion.
Ce genre de drone pourrait redéfinir la logistique militaire moderne. Là où un avion cargo classique met en jeu un équipage et des heures de coordination, un Ibis Shadow pourrait décoller sur ordre d’un algorithme et livrer sa charge à 2 000 kilomètres, de nuit, sans lumière, sans signal radio.
Son nom, “Ibis Shadow”, n’a pas été choisi au hasard. L’ibis, oiseau mythique, symbolise la vigilance et la mémoire. L’ombre, elle, évoque ce que l’on ne voit pas venir. C’est exactement ce que ce drone représente : un avion qui opère dans l’ombre, sans pilote, sans traces.
Via by78/SDF:
„A model of Shaanxi’s Ibis Shadow 60 cargo UAV on display at a low-altitude economy trade show. Take-off weight is over 60 tons, basically an unmanned variant of Y-8/Y-9.“ pic.twitter.com/QTdrLJwZBv
— @Rupprecht_A (@RupprechtDeino) October 14, 2025
Vers une logistique totalement autonome
L’Ibis Shadow 60 n’est pour l’instant qu’un concept, mais il s’inscrit dans une logique bien réelle : automatiser la chaîne logistique militaire de bout en bout. Des drones terrestres comme le Mule-200 jusqu’aux navires autonomes de la marine chinoise, tout converge vers un objectif unique : réduire l’intervention humaine sur les zones à haut risque.
À terme, l’armée chinoise pourrait disposer d’un réseau logistique intégré, où chaque cargaison, chaque ravitaillement, chaque transfert serait géré par des intelligences distribuées, surveillées par un commandement central.
Les observateurs militaires ne s’y trompent pas : ce n’est pas seulement un avion sans pilote, c’est une vision stratégique.
Si le Ibis Shadow 60 devient réalité, il pourrait marquer la fin du pilotage humain dans le transport militaire lourd et le début d’une ère où même les avions de 60 tonnes obéissent, littéralement, à la machine.