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La France a perdu 8 ans en négociations stériles avec ce pays du Moyen-Orient pour rien : le VBCI ne trouvera pas ici son premier hôte à l’export

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Guillaume Aigron

Guillaume Aigron

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Le VBCI recalé au Qatar après huit ans de négociation. C’est une gifle diplomatique et industrielle que personne n’a voulu voir venir. Un contrat à 1,5 milliard d’euros, 490 blindés …

La France a perdu 8 ans en négociations stériles avec ce pays du Moyen-Orient pour rien : le VBCI ne trouvera pas ici son premier hôte à l'export

Le VBCI recalé au Qatar après huit ans de négociation.

C’est une gifle diplomatique et industrielle que personne n’a voulu voir venir. Un contrat à 1,5 milliard d’euros, 490 blindés tricolores espérés, des années d’atermoiements… et, au bout, un silence glacé dans les couloirs du ministère des Armées. Le Qatar a tranché. Le VBCI, fleuron des usines de Roanne, ne foulera pas les sables brûlants de Doha. La messe est dite !

Un revers à l’export de plus pour ce pur produit national qui devait devenir le fer de lance du savoir-faire de l’Hexagone.

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Décembre 2017. Emmanuel Macron foule le tarmac de Doha. Sous le bras, un portefeuille bien rempli de promesses industrielles. Parmi elles, une lettre d’intention pour 490 VBCI destinés à équiper les forces blindées qatariennes. L’opération est annoncée à 1,5 milliard d’euros, soit environ 3 millions l’unité si l’on inclut les prestations associées.

Il s’agit de positionner la France face à la concurrence allemande, turque et américaine dans le domaine très disputé des véhicules blindés à roues de 30 tonnes. Pour KNDS France, née du mariage entre Nexter et Krauss-Maffei Wegmann, l’affaire est vitale : maintenir la chaîne industrielle du VBCI, élargir la base export, et faire de la version « VBCI 2 » un standard international. Le Qatar, lui, veut renouveler sa flotte après des années d’acquisitions tous azimuts.

Les discussions s’éternisent. Cinq ans plus tard, aucun contrat n’a été signé. En 2023, les négociations reprennent brièvement. KNDS France fait le déplacement, présente une version améliorée du VBCI, le Philoctète, avec canon de 40 mm, missiles AKERON et tourelle téléopérée. Rien n’y fait.

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L’ombre d’un choix politique

Les raisons de cet échec ne sont pas uniquement techniques. Le VBCI 2, dans sa version qatari, coche de nombreuses cases : mobilité tout-terrain, puissance de feu, capacités de guerre en zone désertique. Pourtant, Doha semble s’être détourné, discrètement mais fermement.

Selon plusieurs sources proches du dossier, le contexte géopolitique a pesé lourd. L’effacement relatif de la diplomatie française dans la région, les tensions croissantes avec certains partenaires du Golfe, et la concurrence féroce exercée par l’Allemagne et la Turquie auraient fini de convaincre les décideurs qataris.

Sur le plan intérieur, le ministère des Armées est désormais informé, tout comme l’Élysée. L’annonce officielle ne devrait pas tarder. Aucun nom n’a été donné pour l’instant sur le vainqueur du marché, mais tout pointe vers un concurrent plus actif ces dernières années : le Boxer germano-néerlandais, déjà sélectionné par d’autres clients du Moyen-Orient.

Un revers qui coûte cher

L’échec est d’autant plus douloureux que KNDS France a beaucoup investi dans cette campagne. Plusieurs véhicules de démonstration ont été adaptés aux exigences spécifiques du Qatar. Le VBCI 2 a été modifié en profondeur : blindage renforcé, nouveaux capteurs, sièges suspendus, protection NRBC de niveau OTAN 4, moteur Volvo D13 de 600 chevaux, tourelle T40 inhabitée.

À Roanne, la ligne de production avait même été préparée pour monter en cadence à plus de 30 véhicules par mois en cas de commande ferme. L’armée de Terre française, elle-même en cours de renouvellement de ses VBCI vers la version 32 tonnes, aurait profité de cette dynamique.

Chaque perte de contrat international se traduit par des coûts d’opportunité élevés : maintien des équipes d’ingénierie, mobilisation des commerciaux, adaptations techniques non rentabilisées.

Un programme à la peine à l’international

Le VBCI avait déjà connu une série de déconvenues à l’étranger. Espagne, Canada, Danemark, Lituanie, Liban, Émirats… tous ont un jour envisagé le blindé français, sans jamais signer. Même la Russie, en 2012, avait dépêché des officiers pour essais à Satory.

Pourquoi cet échec répété ? En face, les concurrents proposent des plateformes plus modulaires (Boxer), des montages industriels attractifs (Piranha), ou des partenariats stratégiques (Turquie avec les Émirats). Le VBCI reste un excellent produit, mais il souffre d’un manque de flexibilité perçu par certains clients. Sa masse élevée, son coût (entre 3,2 et 3,6 millions d’euros par unité équipée) et son architecture rigide n’aident pas.

Liste des raisons fréquemment évoquées par les clients non retenus :

  • Pas d’ouverture suffisante à la co-production locale
  • Poids supérieur aux normes OTAN standard pour transport aérien
  • Coût unitaire élevé, même en configuration de base
  • Système de tourelle propriétaire non interchangeable
  • Faible rétro-ingénierie autorisée par KNDS France

Des conséquences industrielles en chaîne

À court terme, aucun emploi n’est menacé chez KNDS France. Mais les syndicats redoutent déjà des effets à moyen terme sur la charge de travail à Roanne, Bourges et Satory. Le programme VBCI est un pilier industriel pour plusieurs sous-traitants français, notamment dans le domaine des optiques (Thales), des blindages (Aubert & Duval) et de l’électronique embarquée (Safran).

Le calendrier est d’autant plus serré que la modernisation du VBCI de l’armée française elle-même entre dans une phase critique. Les 95 premiers exemplaires en version « 32 tonnes » ont été transformés entre 2015 et 2017. Les 535 restants doivent l’être entre 2025 et 2027, selon le dernier rapport budgétaire de la DGA. Le Qatar aurait pu participer au financement indirect de cette phase.

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Une crédibilité à reconstruire

La filière blindée française doit désormais rebondir. KNDS France parie sur d’autres programmes : le char EMBT, l’artillerie Caesar MkII, le Griffon et le Serval. Mais le VBCI 2 représentait un symbole : celui d’un blindé de combat de haute intensité, conçu, produit et combattu sous drapeau français.

Les regards se tournent désormais vers la Grèce, où une commande mixte de 280 VBCI neufs et 88 d’occasion reste à l’étude, dans un montage incluant financement et production locale. Les espoirs sont minces, mais encore ouverts.

Quant au Qatar, il ne s’est pas exprimé officiellement. Mais les signes ne trompent pas. Le contrat est perdu et avec lui, une part de l’orgueil industriel français.

Image : VBCI est équipé d’un blindage cage.

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