Alors que le partenariat de confiance entre Paris et New Delhi semblait acquis, l’Inde s’apprête à faire volte-face et à confier à l’Allemagne l’un des plus gros contrats navals de son histoire. Un revers cinglant pour la France.
Le projet initial portait sur trois nouveaux Scorpène, mais l’Inde semble prête à les abandonner pour des sous-marins allemands jugés plus modernes. Derrière ce choix se cache une bataille industrielle à plusieurs milliards d’euros, et une nouvelle preuve de la difficulté croissante pour la France à s’imposer face aux offres techniques et financières allemandes.
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Une décision en suspens, mais un signal clair
L’Inde envisage d’annuler un contrat de 36 000 crores de roupies (à peu près 4,1 milliards d’euros) destiné à trois nouveaux sous-marins Scorpène français. Bien que la décision finale ne soit pas officiellement actée, tout indique un virage vers les sous-marins allemands de Thyssenkrupp Marine Systems (TKMS). Ces derniers ont été retenus dans le cadre du projet P-75I, aux côtés de Mazagon Dock Shipbuilders Limited (MDL). Une source proche du dossier explique que le gouvernement indien n’a pas validé les Scorpène en Conseil de sécurité, malgré des négociations finalisées en 2023. Le motif ? Une technologie jugée d’une génération en retard face aux nouvelles propositions allemandes.
L’argument technologique allemand fait mouche
Les futurs sous-marins allemands promettent une motorisation AIP (propulsion indépendante de l’air), couplée à des missiles de croisière et une portée améliorée. Le Scorpène, bien que fiable, commence à montrer ses limites technologiques. La capacité à rester immergé plus de deux semaines sans faire surface devient un critère incontournable dans le contexte indo-pacifique. Ce choix illustre un basculement : l’Inde ne cherche plus seulement un partenariat historique, mais un avantage opérationnel immédiat, capable de rivaliser avec les progrès fulgurants de la flotte chinoise et pakistanaise.
Trop de projets pour MDL ?
Mazagon Dock, le constructeur indien, se retrouve au cœur d’une équation complexe. Gérer à la fois les Scorpène et les nouveaux sous-marins allemands impliquerait une charge industrielle colossale, avec des risques de délais et de surcoûts. En intégrant les technologies de TKMS, le projet P-75I offrira en outre un transfert de compétences accru, avec un taux d’indigénisation proche de 60 %, préparant le terrain au futur programme P-76 100 % indien.
L’avenir des Scorpène en suspens
Depuis 2005, six Scorpène ont déjà été produits sous licence par l’Inde. Le dernier, l’INS Vagsheer, a été livré en janvier 2025. Tous devraient être modernisés avec la technologie AIP du DRDO, le centre de recherche défense indien. Mais au lieu de continuer dans cette voie, le gouvernement semble mettre en pause toute extension de cette ligne, misant sur une nouvelle génération de submersibles plus dissuasifs.
Tableau comparatif des offres navales
Critères | Scorpène (France) | Sous-marin TKMS (Allemagne) |
Portée immergée | 6-8 jours | 15 jours (avec AIP) |
Transfert de technologie | 50 % | 60 % |
Compatibilité missiles de croisière | Moyenne | Intégrée d’office |
Prix estimé par unité | Environ 1,37 Md€ | Environ 1,7 Md€ |
Livraison | Ligne existante opérationnelle | Nouvelle ligne à créer |
Un revers diplomatique pour Paris
L’Inde est l’un des partenaires stratégiques majeurs de la France. Ce possible rejet survient alors que d’autres dossiers bilatéraux progressent : co-développement d’un moteur avec Safran (61 milliards de roupies), possible achat de Rafale pour la Marine, etc. Ce revers rappelle que même les amitiés diplomatiques les plus solides peuvent être battues par des logiques industrielles et stratégiques bien plus pragmatiques.
Une flotte à moderniser d’urgence
La marine indienne compte actuellement six Scorpène, six Kilo-class russes vieillissants et quatre HDW allemands des années 1980. L’urgence est réelle : le voisin chinois dispose de plus de 60 submersibles dont plusieurs dotés de la technologie AIP, et la Pakistan Navy en recevra huit nouveaux de classe Yuan d’ici 2030. Face à ce déséquilibre, le choix allemand est perçu comme une mesure de rattrapage nécessaire pour préserver la supériorité navale régionale.
Un projet pivot pour l’avenir
Le contrat avec TKMS serait d’une valeur d’environ 8 milliards d’euros pour six submersibles, avec une option pour trois supplémentaires. Il s’agit d’une pierre angulaire vers une indépendance industrielle accrue. Ce programme prépare l’Inde à construire ses propres sous-marins sous le label P-76, marquant la fin des dépendances à l’Occident pour ce segment critique de la défense.
Source : Economic Times