Face aux blocages persistants dans le programme SCAF, Paris se prépare à reprendre les rênes en solo. Derrière les sourires diplomatiques, c’est un bras de fer technologique et stratégique qui se joue entre alliés européens.
La France s’apprête à faire ce qu’elle redoutait au départ : continuer seule le développement du futur avion de combat européen. Alors que les négociations patinent avec l’Allemagne et l’Espagne, Dassault et l’État français tracent leur propre route. Un pari risqué, mais peut-être nécessaire pour éviter l’effondrement d’un projet crucial pour la défense aérienne de demain. Car derrière les déclarations publiques, les désaccords sont profonds : gouvernance, répartition du travail, choix technologiques… Le projet d’avion du futur est devenu un terrain de tensions.
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Une fracture devenue difficile à cacher
Le projet avait démarré avec des ambitions communes. L’idée : concevoir un système aérien européen capable de remplacer à la fois le Rafale et l’Eurofighter à l’horizon 2040. Mais très vite, les désaccords sont apparus. Entre Dassault Aviation, Safran, Airbus et leurs partenaires allemands et espagnols, les visions divergent. Au cœur du blocage, il y a la question de l’autorité de conception. La France, via Dassault, souhaite garder le contrôle total sur le développement du chasseur piloté. L’Allemagne, elle, exige une répartition plus équilibrée, y compris sur des domaines critiques. Résultat : plusieurs mois de gel des discussions, et une défiance de plus en plus visible.
Une option nationale désormais assumée
Le 23 septembre 2025, Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation, a annoncé publiquement que la France était prête à poursuivre seule le développement de l’appareil si aucun accord n’était trouvé. Deux jours plus tard, un haut responsable français confirmait cette position, ajoutant que l’écosystème industriel européen resterait ouvert à des collaborations, mais sous pilotage français. Cette option n’est plus un plan B, mais une stratégie déjà en cours de consolidation. Le calendrier reste le même : une entrée en service autour de 2040, pour éviter que les flottes actuelles n’atteignent leurs limites opérationnelles. La fenêtre est étroite, et tout retard supplémentaire pourrait être fatal au projet.
Un avion conçu comme une plateforme interconnectée
Contrairement aux avions de chasse traditionnels, ce futur appareil ne sera pas un système isolé. Il s’inscrit dans une architecture dite de “système de systèmes” : un chasseur furtif principal, assisté de drones de combat autonomes, le tout connecté par un cloud de combat sécurisé. L’objectif est clair : obtenir une supériorité d’information et une capacité à fusionner les capteurs, permettant au pilote d’agir plus vite, avec une vision tactique complète du champ de bataille. L’appareil pourra déléguer certaines actions à ses drones, rester en retrait, et tirer par relai à distance, réduisant ainsi son exposition.
Une divergence sur les priorités techniques
L’une des grandes fractures techniques concerne la masse cible de l’appareil. La France souhaite un avion plus léger, autour de 15 tonnes, afin de conserver une capacité d’appontage sur porte-avions. L’Allemagne vise un modèle plus lourd, proche de 18 tonnes, privilégiant l’autonomie et la capacité d’emport. Ce choix impacte directement le moteur, la charge utile, le rayon d’action et la durée de développement. Un moteur plus puissant implique une collaboration étroite entre Safran, MTU Aero Engines et ITP Aero, mais les désaccords sur le dimensionnement freinent l’avancée du chantier.
Un réseau de combat centré sur l’interopérabilité
L’élément central du dispositif reste la guerre en réseau. Le chasseur ne sera jamais seul : il sera entouré de vecteurs autonomes, certains spécialisés dans la détection, d’autres dans la guerre électronique, d’autres encore dans l’attaque. Le tout piloté via une interface unifiée et cryptée. L’exemple souvent cité est le suivant : l’avion repère une menace, un drone s’en approche, un autre brouille le radar adverse, un troisième lance les munitions. Le chasseur, lui, reste en zone sécurisée, sans jamais être directement exposé.
Une course contre la montre désormais enclenchée
Le projet reste structuré autour de piliers industriels bien définis. Dassault a la main sur le design du chasseur, Airbus supervise les autres éléments du programme, et les motoristes européens avancent sur la propulsion. Mais les retards accumulés, les tensions de gouvernance et le manque de décisions claires menacent le délais de 2040.
Voici un récapitulatif du calendrier visé :
Étape critique | Date cible |
Validation architecture NGF | Fin 2025 |
Développement préindustriel | 2026–2029 |
Prototype opérationnel | 2030–2032 |
Intégration cloud et drones | 2033–2037 |
Entrée en service estimée | 2039–2040 |
Chaque retard pourrait forcer les États à prolonger les flottes actuelles, avec un coût opérationnel et budgétaire non négligeable.
Une dimension stratégique incontournable
Au-delà de la technologie, cet avion doit aussi pouvoir porter l’armement nucléaire français, dans le cadre de la dissuasion aéroportée. C’est un impératif pour Paris, qui ne peut se permettre de dépendre de partenaires étrangers pour une telle mission. Cette exigence ajoute un poids supplémentaire aux choix à faire : robustesse des systèmes, redondance des capteurs, protection contre les cyberattaques, et résilience face à la guerre électronique. Ce niveau de sophistication impose une maîtrise industrielle complète, que la France ne souhaite plus partager à tout prix.
Source : Politico