La frégate Emilio Bianchi : l’ultime lame italienne contre les menaces sous-marines.
Le 31 juillet 2025, dans le chantier naval de Muggiano à la Spezia, l’Italie a reçu des mains de Fincantieri sa dixième frégate FREMM. Un dernier-né baptisé Emilio Bianchi, chargé d’armes et d’électronique, taillé pour la guerre sous-marine. Avec lui, c’est toute une génération de navires européens qui tourne la page, avant l’entrée en scène des redoutées FREMM EVO.
Derrière la coque de 144 mètres se cache une leçon de géopolitique navale, de coopération industrielle et de préparation à la guerre de demain. L’Italie clôt ici un programme lancé il y a près de vingt ans, au croisement des ambitions françaises et transalpines.
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L’Italie réceptionne la dernière des frégate FREMM commandée il y a 20 ans
Emilio Bianchi n’est pas une frégate comme les autres. C’est la seconde unité livrée dans une version dite ASW Enhanced, une déclinaison améliorée dédiée à la lutte anti-sous-marine. Elle vient clore une commande initiale de dix navires FREMM (Frégates Européennes Multi-Missions), répartis entre versions polyvalentes et spécialisées.
Si quatre FREMM italiennes avaient été pensées pour des missions générales (General Purpose), deux d’entre elles ont finalement été cédées à l’Égypte en 2020 pour un montant estimé à 1,2 milliard d’euros. Résultat : l’Italie a dû revoir son plan. Les frégates Spartaco Schergat et Emilio Bianchi sont venues combler ce vide, avec un avantage de taille : leur équipement est bien supérieur à celui des versions vendues au Caire.
Une architecture pensée pour la profondeur
La signature la plus visible de cette évolution ? Le retrait du système d’embarquement de canots rapides à l’arrière, remplacé par un sonar CAPTAS-4 à immersion variable, conçu par Thales. Ce dispositif, capable de détecter les menaces sous-marines à longue distance, fait toute la différence.
Voici un aperçu des principaux capteurs et équipements liés à la lutte ASM embarqués à bord :
Équipement | Fonction |
---|---|
CAPTAS-4 | Sonar remorqué à basse fréquence, détection longue portée |
UMS 4110 CL | Sonar de coque multifaisceaux |
SeaBeam 3050 | Sondeur bathymétrique pour cartographie fine |
Deux tubes triple B515 | Lance-torpilles MU90 impact |
Le navire intègre aussi un nouveau système de guerre électronique développé par Elettronica, avec capteurs passifs et actifs basés sur des composants GaN. Pour l’équipage, un système de cyberprotection active permet de détecter et de contenir des intrusions dans le système de gestion du navire, sans dépendre immédiatement du commandement cyber central. Une première dans la flotte italienne.
Une plateforme robuste, modulable, survivante
La frégate Emilio Bianchi mesure 144 mètres de long pour 19,7 mètres de large, avec un déplacement à pleine charge d’environ 6 700 tonnes. Son système de propulsion repose sur une configuration CODLAG combinant :
- 1 turbine à gaz LM2500+G4 de 32 MW
- 2 moteurs électriques à aimants permanents de 2,15 MW
- 4 générateurs diesel de 2,1 MW
- 1 propulseur azimutal rétractable de 1 MW
Ce montage permet de naviguer silencieusement à 15,6 nœuds avec la seule propulsion électrique, ou d’atteindre plus de 50 km/h (27 nœuds) en propulsion combinée. La manœuvre portuaire est assurée jusqu’à 13 km/h sans utiliser les moteurs principaux.
Côté hangar, la frégate peut accueillir deux hélicoptères NH90 ou un NH90 et un EH101. Elle est également équipée pour opérer des drones aériens, comme le ScanEagle ou l’AWHero testé dans le cadre du programme européen OCEAN 2020.
Une puissance de feu à la hauteur du format
Si son cœur bat pour la détection et la neutralisation de sous-marins, Emilio Bianchi n’en reste pas moins un navire de guerre polyvalent, armé jusqu’aux dents :
- 1 canon principal de 127 mm Leonardo Vulcano à munitions guidées longue portée
- 1 canon secondaire de 76 mm Super Rapido Strales avec projectiles DART
- 2 canons de 25 mm Oerlikon
- 8 missiles Teseo Mk2/A anti-navires/sol, évolutifs vers Mk2/E
- 16 missiles Aster 15 ou Aster 30 via 2 silos verticaux Sylver A50
- Leurres acoustiques, lance-leurres anti-torpilles, brouilleurs non létaux
L’ensemble repose sur l’architecture de combat SAAM-ESD de Leonardo, capable de gérer des menaces multiples simultanément. Chaque zone critique du navire est dupliquée pour permettre le maintien du commandement en cas d’impact ou de panne.
Une frégate dans un contexte européen chargé
L’Emilio Bianchi entre en service au sein de la 2e division navale basée à Tarente. Son intégration intervient alors que l’Italie, à travers OCCAR, a signé pour deux unités FREMM EVO supplémentaires à 1,5 milliard d’euros. Ces navires futurs intégreront de nouveaux radars double bande, un canon téléopéré de 30 mm, une architecture ouverte pour les drones et des capacités de frappe au sol via des tubes Sylver A70.
Dans le même temps, le ministère italien de la Défense poursuit son programme de modernisation navale 2023–2025, avec :
- Le remplacement des destroyers Horizon par des DDX
- La construction de patrouilleurs Thaon di Revel en version Full
- Le programme de corvette européenne EPC
- Le renouvellement des sous-marins avec le U212 NFS
- L’intégration poussée des systèmes autonomes et de la cyberrésilience
L’empreinte internationale du programme FREMM
Les frégates FREMM ne sont pas uniquement un projet italo-français. Elles naviguent aujourd’hui sous pavillon marocain, égyptien, indonésien, et bientôt américain. La marine US a sélectionné une version adaptée pour sa future classe Constellation, avec jusqu’à 20 unités prévues.
Bilan des FREMM en service (hors EVO)
Pays | Nombre de FREMM | Variantes |
---|---|---|
Italie | 10 | GP, ASW, ASW-E |
France | 8 | ASW, AAW |
Égypte | 3 | 1 française, 2 italiennes |
Maroc | 1 | GP |
Indonésie | 6 (commandées) | ASW/GP |
Avec l’Emilio Bianchi, l’Italie boucle donc une séquence technologique et stratégique de vingt ans. Ce navire incarne la montée en gamme des marines européennes face aux menaces maritimes hybrides et sous-marines et prépare, discrètement mais fermement, le terrain pour la génération suivante.
Deux marines européennes aux trajectoires parallèles
Le programme FREMM, fruit d’une coopération franco-italienne entamée en 2005, révèle aussi des différences d’approche entre les deux nations. Si les frégates issues de cette collaboration sont techniquement proches, les marines qui les opèrent suivent des logiques distinctes, en matière de doctrine, de projection et d’équipement global. L’Italie, avec la livraison de l’Emilio Bianchi, affiche une flotte homogène, tournée vers la Méditerranée et la projection régionale. La France, de son côté, s’appuie sur une stratégie océanique, avec des missions globales et des moyens plus diversifiés.
Voici une comparaison synthétique des deux flottes :
Catégorie | Marine nationale (France) | Marina Militare (Italie) |
---|---|---|
Frégates FREMM | 8 (6 ASM, 2 AA) | 10 (4 GP, 4 ASW, 2 ASW-E) |
Porte-avions | 1 (Charles de Gaulle, nucléaire) | 1 (Cavour, conventionnel) |
Porte-aéronefs légers | – | 1 (Trieste, livrable 2025) |
Destroyers | 2 (Horizon) | 2 (Horizon) |
Sous-marins d’attaque | 6 (classe Suffren, Barracuda) | 4 (classe Todaro, U212A) |
Sous-marins classiques | – | 2 (classe Sauro, à remplacer) |
Patrouilleurs hauturiers (OPV) | 6 (classe d’Entrecasteaux + nouveaux BSAH) | 7 (Thaon di Revel, différentes configurations) |
Navires amphibies | 3 (Mistral) | 3 (San Giorgio) |
La France conserve l’avantage dans la projection lointaine, grâce à son porte-avions nucléaire et ses sous-marins à propulsion atomique. Elle opère aussi dans des zones plus larges : Indo-Pacifique, Atlantique sud, mer de Chine. L’Italie, quant à elle, concentre ses efforts sur la Méditerranée élargie et l’OTAN, avec des plateformes plus récentes et modulaires, notamment dans la catégorie des patrouilleurs armés (PPA – Pattugliatori Polivalenti d’Altura).
Avec le développement en parallèle des FREMM EVO, des DDX, et des projets européens communs comme l’EPC (European Patrol Corvette), les deux marines poursuivent une modernisation intense. Elles incarnent deux visages complémentaires d’une Europe navale qui cherche à exister face aux géants américains et chinois.
Source : https://www.fincantieri.com/en/media/press-releases/2025/defense-tenth-fremm-unit-emilio-bianchi-delivered-to-the-italian-navy
Image : FREMM Emilio Bianchi (Marina Militare)