Sous-marin chinois à Vladivostok : que cache vraiment cette plongée stratégique en mer du Japon ?
C’est un événement discret, mais hautement symbolique. Depuis le 1er août 2025, un sous-marin chinois de classe Kilo est amarré au port de Vladivostok, aux côtés de destroyers et navires ravitailleurs de la flotte chinoise. Pour la toute première fois, un sous-marin de la marine chinoise prend part à un exercice naval conjoint avec la Russie, dans le cadre des manœuvres Joint Sea 2025. Une coopération technique de plus ? Pas seulement. Cet échange en eaux profondes dit beaucoup sur les mutations géostratégiques en cours dans le Pacifique.
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Un vieux sous-marin mais un message très clair de la Chine et de la Russie
Pourquoi envoyer un Kilo, un sous-marin russe des années 1990, alors que la Chine dispose de modèles plus récents comme le Type 039A “Yuan” ? Réponse : la discrétion… acoustique. Le Kilo a beau être daté, il évite d’exposer les signatures sonores des nouveaux modèles chinois à une surveillance occidentale particulièrement active dans la mer du Japon.
Ce sous-marin conventionnel (diesel-électrique), acquis auprès de la Russie, peut rester en immersion pendant près de deux semaines grâce à un système de régénération d’air, et son design en “goutte d’eau” réduit sa traînée. Il reste un outil crédible pour l’entraînement, la coopération technique… et la communication diplomatique.
Destroyers et missiles hypersoniques à bord
La présence du Kilo n’est pas isolée. Il est escorté par :
- deux destroyers Type 052D, véritables couteaux suisses de la marine chinoise, équipés de 88 cellules de lancement vertical (VLS),
- une frégate logistique Type 903A,
- un navire de secours sous-marin,
- et des aéronefs spécialisés pour la lutte anti-sous-marine et la défense aérienne.
Ces destroyers peuvent embarquer des missiles HHQ-9 (anti-aériens), YJ-18 (croisière) et même YJ-21, missile hypersonique en phase de démonstration, capable d’atteindre Mach 10 sur certaines trajectoires balistiques. En comparaison, la Russie n’a aligné pour cet exercice qu’un destroyer Udaloy de conception soviétique, symbole du décalage croissant entre les flottes des deux partenaires.
Une géographie très bien choisie
Pourquoi Vladivostok ? Parce que c’est le cœur historique de la flotte russe du Pacifique, fondée en 1860. Même si la base opérationnelle a été déplacée à Fokino après 2012, Vladivostok conserve une forte charge symbolique et logistique. La tenue de l’exercice dans cette zone signale clairement que la coopération sino-russe s’installe au plus près des lignes de tension de l’Indo-Pacifique.
L’exercice Joint Sea 2025 prévoit des scénarios complets : lutte anti-sous-marine, opérations de sauvetage, défense aérienne navale, tirs réels. Autrement dit, des modules complets de guerre en coalition en zone littorale. Une répétition grandeur nature.
Un timing qui ne doit rien au hasard
Ces manœuvres se déroulent au même moment que l’opération Resolute Force Pacific 2025, pilotée par les États-Unis et impliquant plus de 400 avions et 12 000 soldats de pays alliés comme le Japon, l’Australie ou la Corée du Sud. La coïncidence est trop parfaite pour ne pas être stratégique : les deux blocs se livrent une démonstration de force, à distance mais sans ambiguïté.
La Chine répète que Joint Sea est une coopération de routine. Pourtant, depuis 2021, on observe un net renforcement des manœuvres conjointes avec Moscou : patrouilles aéronavales en mer de Béring, déploiements conjoints jusqu’en mer Baltique, et même, en 2024, une présence chinoise militaire en Biélorussie.
Des flottes à deux vitesses… mais un objectif commun
Il est frappant de constater le décalage technologique entre les marines chinoise et russe. La Chine a lancé plus de 25 destroyers Type 052D depuis 2014, pendant que la Russie… n’a plus posé la quille d’un seul destroyer neuf depuis la chute de l’URSS. Et pourtant, ces deux marines coopèrent de plus en plus étroitement.
Ce paradoxe s’explique : la Chine y gagne de la légitimité régionale dans des zones russes. Moscou, en échange, obtient un levier diplomatique contre les déploiements américains. Les deux pays s’alignent donc sans fusionner, tout en montrant qu’ils peuvent provoquer un effet de masse naval, ce qui, dans un détroit ou une mer fermée, peut suffire à faire réfléchir.
Comparatif des flottes de guerres chinoise et russe :
Élément | Chine | Russie |
Sous-marins en service | ≈ 60 (dont 6 nucléaires lanceurs d’engins) | ≈ 49 (dont 11 nucléaires) |
Destroyers modernes (Type 052D) | > 25 | 0 neuf depuis 1991 |
Port principal (Pacifique) | Qingdao / Sanya | Vladivostok / Fokino |
Participation conjointe à Joint Sea | Depuis 2012 | Depuis 2012 |
Source : https://news.usni.org/2025/08/01/chinese-submarine-makes-first-visit-to-russia-for-joint-drills
Image : Le sous-marin chinois aperçu à Vladivostok est de la même classe que le B-265 Krasnodar de la flotte russe de la mer Noire, classe Kilo améliorée, en 2015.