ARCHANGE propulse la France dans le cercle fermé des maîtres du renseignement électromagnétique.
Ils ne transportent ni bombes ni missiles. Ils volent haut, longtemps, et surtout, ils écoutent.Depuis les airs, ils captent les signaux invisibles des radars, téléphones ou brouilleurs ennemis et grâce à eux, on peut anticiper un conflit avant même qu’il n’éclate : les SIGINT !
Avec le premier vol du programme ARCHANGE, la France s’offre une place à la table des grandes puissances du renseignement électromagnétique stratégique.
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Un monde d’ondes, surveillé depuis le ciel par la France avec le programme ARCHANGE
Aujourd’hui, la guerre ne se joue plus seulement sur terre, en mer ou dans les airs. Elle se déroule aussi dans l’espace électromagnétique. Chaque radar, chaque téléphone satellite, chaque communication radio émet une onde. Les intercepter permet de savoir qui communique, avec qui, et à quel moment.
Ces informations, stratégiques par nature, sont collectées depuis des avions spécialisés. Leur nom de code dans les états-majors : SIGINT (pour Signals Intelligence), ELINT (renseignement sur les radars) et COMINT (renseignement sur les communications). Ces plateformes, qui ressemblent souvent à de simples jets d’affaires, embarquent en réalité des antennes puissantes, des capteurs ultra-sensibles, des opérateurs aguerris et des logiciels d’analyse en temps réel.
La France regarde avec beaucoup d’inquiétude la décrépitude de son éternelle rivale la Royal Navy
Un avion d’affaire transformé en espion stratégique
ARCHANGE repose sur une plateforme bien connue dans l’aviation civile : le Falcon 8X de Dassault Aviation. Ce jet d’affaires triréacteur haut de gamme, utilisé par les chefs d’État et les grandes entreprises, a été choisi pour ses qualités aérodynamiques, son autonomie exceptionnelle et sa fiabilité éprouvée.
Concrètement, le Falcon 8X offre :
- une vitesse de croisière de 950 km/h,
- une portée de 12 000 km sans ravitaillement,
- un plafond opérationnel de 15 500 mètres,
- une signature acoustique et radar réduite,
- et une cabine allongée de 13 mètres permettant d’installer des consoles, des capteurs et plusieurs opérateurs en mission.
Sa taille modeste pour un avion de ce type facilite son déploiement discret sur des bases avancées, y compris dans des environnements géopolitiques sensibles. Une fois modifié par Dassault, le 8X devient un centre de renseignement volant, capable de voler des heures dans les marges du conflit pour écouter, localiser, et transmettre des informations en temps réel.
Très peu de pays dans le club SIGINT
Aucun pays ne partage facilement ces secrets. Car construire un avion de renseignement stratégique demande un niveau d’expertise exceptionnel : en aéronautique, en traitement du signal, en électronique de défense et en cybersécurité.
Aujourd’hui, seuls quelques États dans le monde possèdent une capacité SIGINT aérienne de haut niveau :
Pays | Appareils en service | Spécificités |
États-Unis | RC-135, EC-130H, EC-37B | Leader incontesté, flotte nombreuse et modernisée |
Royaume-Uni | RC-135W Airseeker | Partenariat avec les USA, 3 appareils |
Israël | Nachshon Shavit (G550) | Avion compact, très performant |
France | ARCHANGE (x3 en cours) | Plateforme 100 % souveraine, entrée en service en 2025 |
Allemagne | Pegasus (livraison 2025-2026) | Version sur Global 6000, capteurs Hensoldt |
Australie | MC-55A Peregrine | G550 modifié, basé sur l’israélien Shavit |
Suède | S 102B Korpen | Gulfstream IV dédié à l’ELINT |
Chine | Y-9JB, Y-8G, Tu-154 modifiés | Capacité large, mais pas encore au niveau stratégique |
Russie | Il-20M, Il-22PP | Matériel ancien, partiellement modernisé |
L’ARCHANGE français : ce qu’il fait vraiment
Le programme ARCHANGE (Avion de Renseignement à CHArge utile de Nouvelle GEnération), piloté par la DGA, transforme des Falcon 8X en véritables plateformes d’écoute stratégique. Trois avions sont prévus d’ici 2030. Leur mission : intercepter, localiser et analyser des signaux radars ou communications dans un rayon d’action intercontinental.
Le Falcon 8X est particulièrement bien choisi : très longue portée (12 000 km), vitesse de croisière de 950 km/h, plafond de vol élevé, et consommation optimisée. Il peut rester des heures au-dessus de zones sensibles sans se faire repérer.
À l’intérieur, tout est neuf : systèmes de mission développés par Thales DMS et Thales SIX, traitement en temps réel, communications protégées. Chaque vol produit une moisson de données utiles pour les états-majors, la dissuasion nucléaire, la lutte anti-terroriste ou la planification de frappes.
Une place dans le peloton de tête
Grâce à ARCHANGE, la France rejoint un groupe restreint de pays capables d’opérer des avions de renseignement stratégique 100 % souverains. C’est un atout géopolitique majeur.
- Les États-Unis et Israël restent leaders, avec des flottes plus anciennes mais continuellement modernisées.
- Le Royaume-Uni dépend encore largement de ses partenariats transatlantiques.
- L’Allemagne n’a pas encore reçu ses appareils.
- L’Australie débute à peine.
La France se classe donc en 4e position mondiale, à égalité avec Israël et devant la plupart des autres membres de l’OTAN. Un saut technologique qui la replace dans le haut du panier du renseignement mondial.
Pourquoi c’est stratégique… et coûteux
Développer ce type d’appareil, c’est envoyer un signal : nous savons écouter, analyser, anticiper. Cela renforce l’autonomie stratégique de la France, évite la dépendance aux États-Unis, et place Paris en position de force dans les échanges d’informations au sein de l’OTAN.
Et c’est un investissement : plusieurs centaines de millions d’euros pour trois appareils, la maintenance, l’entraînement des équipages et les infrastructures associées. Mais cet investissement est moins visible qu’un porte-avions ou un Rafale. Et pourtant, sans lui, aucune de ces forces ne pourrait opérer aussi efficacement.
Un arsenal bien plus vaste qu’un avion
ARCHANGE n’est que la partie émergée de l’iceberg. Derrière lui, la France déploie un écosystème complet de capteurs et de réseaux de renseignement, qui lui permet de surveiller en permanence l’espace, le ciel, la mer et les communications numériques.
Depuis l’espace, les satellites CSO (imagerie optique de très haute résolution) et la constellation CERES (renseignement électromagnétique) permettent d’identifier un site militaire, d’écouter une antenne radar ou de repérer une activité suspecte. Les futurs satellites IRIS complèteront cette capacité avec des images infrarouges jour et nuit.
Au sol, les radars GM 400 Alpha surveillent l’espace aérien jusqu’à 500 kilomètres, tandis que le système GRAVES, unique en Europe, traque les objets en orbite basse : satellites espions, débris ou drones exo-atmosphériques.
Dans les airs, les drones MQ-9 Reaper et Patroller fournissent une écoute ciblée et une surveillance longue durée. Discrets, endurants, ils sont essentiels pour valider des signaux captés par satellite ou avion.
Enfin, les services de renseignement comme la DGSE (extérieur), la DRM (militaire) et la DGSI (intérieur) croisent ces flux techniques avec des données humaines, des interceptions numériques ou des sources ouvertes. Chaque maillon de la chaîne renforce les autres.
ARCHANGE ne remplace donc rien, il s’intègre dans un système distribué, en apportant une capacité mobile, stratégique, réactive, et surtout souveraine.
Source : DGA
Image de mise en avant : Intérieur d’un Falcon 8X (crédit : Dassault Falcon)