Ce navire furtif japonais pourrait redessiner l’avenir de la flotte australienne.
Une frégate longue de 133 mètres, un silence radar presque parfait pour une technologie venue des laboratoires les plus secrets du Japon. Le 21 juillet 2025, à Canberra, ce n’est pas un simple navire que les représentants japonais sont venus proposer à l’Australie. C’est une vision. Un outil de guerre, de diplomatie, de géostratégie. Un pari sur les prochaines décennies d’équilibre naval dans l’Indo-Pacifique et un joli contrat en perspective avoisinant les 6 milliards d’euros.
Lire aussi :
- La Marine de ce pays méditerranéen va devenir le porte étendard de la France pour ce qui s’annonce comme son futur grand succès commercial : la frégate FDI
- Le plus grand navire militaire du monde et ses 100 000 tonnes ne sont pas près de quitter les quais de Newport News avec encore un retard confirmé
Le Japon tente de taper dans l’œil de l’Australie avec sa frégate dernier cri
C’est dans une atmosphère tendue mais polie que les officiels australiens ont assisté à la présentation. Devant eux, Takeshi Ishikawa, haut fonctionnaire du ministère de la Défense japonais. Droit, précis, sans emphase. Il ne s’est pas contenté de dérouler une fiche technique. Il a déroulé une doctrine. Celle de l’interopérabilité. Un mot, en apparence technique, mais qui résume un enjeu colossal : être capable de combattre aux côtés des États-Unis sans le moindre accroc, sans latence, sans conversion, sans rupture dans les chaînes de commandement.
Le Japon sait qu’en la matière, Canberra reste attentive. La défense australienne regarde à l’ouest vers Washington, et à l’est vers ses propres chantiers navals. Tokyo joue sur les deux tableaux : une technologie en phase avec l’arsenal américain, et une promesse de transfert industriel vers les chantiers australiens. Il ne s’agit plus simplement d’acheter un bateau, mais de tisser une alliance.
Un monstre furtif taillé pour le 21e siècle
Le Mogami n’est pas une simple coque armée. C’est un concentré de savoir-faire japonais. Long de 133 mètres, pour un déplacement de 5 500 tonnes en charge, il est capable d’atteindre 29.7 nœuds (55 km/hà grâce à une motorisation hybride : une turbine à gaz Rolls-Royce MT30, flanquée de deux moteurs diesel MAN. Le tout intégré dans un système CODAG, pensé pour offrir puissance et réactivité sans exploser les coûts de maintenance.
À bord, pas de passerelle aux allures classiques. Le cœur du Mogami, c’est un centre de commandement futuriste, où les écrans panoramiques remplacent les hublots et où la réalité augmentée guide les décisions tactiques. Grâce à une automatisation poussée, le navire fonctionne avec seulement 90 marins, là où d’autres en exigeraient plus de 180. Ce chiffre est l’un des arguments forts de Tokyo : une frégate moderne qui réduit de 30 % le coût opérationnel.
Une dentition redoutable
Derrière son allure discrète, la Mogami n’a rien d’un navire désarmé. Elle est conçue pour frapper fort et vite. À sa proue, un canon de 127 mm de type Mk45, redoutable sur mer comme à terre. Sur ses flancs, huit missiles Type 17 pour les navires hostiles. Contre les menaces aériennes, un système SeaRAM et, pour les attaques sous-marines, deux rampes triples dotées de torpilles Type 12.
Le tout sera renforcé par l’ajout de 16 cellules verticales de type Mark 41, un standard de l’OTAN,pouvant accueillir une large variété de missiles. À cela s’ajoute un hélicoptère SH-60L, des drones sous-marins, des engins de surface sans équipage et des capacités de mouillage de mines. L’ensemble est couvert par un système de guerre électronique NOLQ-3E, couplé à des lance-leurres pour tromper les missiles et brouiller les radars ennemis.
La guerre des chiffres
Face aux contraintes budgétaires qui frappent toutes les marines, le Japon n’a pas simplement mis en avant la technologie. Il a mis sur la table des chiffres. Et ils pèsent.
Élément | Mogami | Frégate concurrente (modèle allemand) |
---|---|---|
Longueur | 133 mètres | ~125 mètres |
Équipage | 90 marins | 180 marins |
Vitesse maximale | 55 km/h | 50 km/h |
Coût estimé à l’unité | 500 millions d’euros | 600 millions d’euros |
Capacité de missiles | 16 VLS + 8 ASM | ~12 VLS + 8 ASM |
Tokyo propose une réduction d’environ 30 % sur le coût de la coque, et une maintenance facilitée grâce à une automatisation accrue. À l’heure où la marine australienne peine à recruter, ces arguments résonnent fort. Le projet global de la Royal Australian Navy vise la construction de 11 nouvelles frégates, pour un montant total avoisinant les 6 milliards d’euros. Chaque euro économisé est donc scruté.
Une stratégie au service de l’exportation
Le Japon, longtemps frileux en matière d’exportation d’armes, a changé de posture. Depuis 2024, un comité national dédié aux ventes de défense a été mis en place. Ce comité regroupe diplomates, industriels et militaires. L’objectif est clair : ne plus se contenter du marché intérieur. La Mogami est l’une des premières incarnations de cette ambition.
Lors de la présentation à Canberra, des représentants de Mitsubishi Heavy Industries, dont le président Seiji Izumisawa, ont accompagné la délégation. Preuve que l’offre japonaise ne se limite pas à une simple vente, mais s’inscrit dans une logique de partenariat industriel et de transfert technologique.
Quelques mois plus tôt, deux Mogami japonaises,les Noshiro et Yahagi, avaient mouillé en Australie. Une opération tout sauf anodine. Les autorités australiennes ont pu visiter, tester, observer. Et se projeter.
Une décision à haute valeur stratégique
Le choix que s’apprête à faire Canberra dépasse la seule acquisition d’un navire. Il engage un axe. Une vision de la sécurité régionale. Entre les tensions croissantes en mer de Chine, les ambitions navales de Pékin, la présence américaine et la résurgence des stratégies de dissuasion navale, l’Australie doit trancher.
Dans ce contexte, le Japon propose plus qu’un outil. Il tend la main pour une alliance militaire renforcée. Un triptyque qui inclurait les États-Unis, l’Australie et le Japon, capable de projeter une puissance navale cohérente et coordonnée dans l’ensemble du Pacifique.
La réponse australienne est attendue d’ici la fin de l’année. Elle dira beaucoup sur l’évolution des alliances dans cette partie du globe. Et peut-être aussi sur le nouveau rôle que le Japon veut jouer dans le grand jeu naval du XXIe siècle.
Source : https://www.abc.net.au/news/2025-06-10/nt-japanese-mogami-frigate-australian-contract-push-darwin/105393954
Image : JS Mogami de retour au port de Sasebo après sa mise en service.