La République tchèque menace la France : le CAESAR 8×8 sous pression.
Un contrat d’armement à 450 millions d’euros, un début de bromance franco-tchèque qui semble finir en eau de boudin avec un avertissement officiel de Prague à Paris. Les 62 canons CAESAR 8×8 commandés à Nexter/KNDS n’ont toujours pas convaincu les militaires tchèques. Retards, performances insuffisantes, absence de données critiques : le ministère de la Défense envisage désormais de suspendre les paiements.
Derrière les chiffres et les sigles se cache une crise diplomatique en germe. Un système d’artillerie censé incarner la modernité de l’Europe de la défense pourrait bien devenir son symbole d’impuissance industrielle !
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Une lettre qui claque comme un coup de semonce pour les relations franco-tchèques
Le 21 juillet 2025, Lubor Koudelka, directeur de l’armement tchèque, envoie une missive sans détour à la direction de KNDS. L’objet : le non-respect des engagements contractuels dans le programme CAESAR 8×8. “Si KNDS ne prépare pas les obusiers pour les essais militaires, nous cesserons de verser les avances”, écrit-il.
À ce jour, la République tchèque a déjà déboursé plus de 315 millions d’euros (7 milliards de couronnes tchèques) pour ce programme. Un dernier versement de 45 millions d’euros devait encore être effectué cette année. Désormais, tout est suspendu.
C’est une décision lourde, prise à contrecœur, après des mois d’échanges techniques et politiques. La ministre de la Défense Jana Černochová l’a confirmé au gouvernement : “Nous avons signalé au fabricant des problèmes graves. Des discussions ont été engagées avec mon homologue française.” Le ton est diplomatique, mais l’avertissement est clair.
Des performances techniques très en deçà des attentes
Le CAESAR 8×8 devait offrir une avancée majeure à l’artillerie tchèque : portée accrue, précision, interopérabilité OTAN. Sur le papier, le système pouvait frapper à 40 km, manœuvrer rapidement, et s’intégrer au commandement numérique Adler III.
La réalité est tout autre. Lors des essais, deux prototypes ont été testés sur les polygones militaires tchèques. Le résultat est jugé insuffisant :
- Portée maximale non atteinte en mode MRSI (frappe simultanée de plusieurs obus sur une même cible à distance),
- Absence de données balistiques fournies par Nexter, empêchant l’intégration avec le système Adler III,
- Incompatibilité des obus tchèques, faute de documentation technique sur les interactions entre le canon et la munition.
Un officier confie sous couvert d’anonymat : “Sans ces données, le système ne peut pas fonctionner avec nos munitions. Il est inutilisable. Et on ignore même s’il respecte les standards OTAN.”
Le précédent danois plane comme une ombre
La République tchèque n’est pas seule à s’être frottée à ce programme complexe. Le Danemark avait commandé 19 CAESAR 8×8. Las des retards et des difficultés techniques, Copenhague a finalement annulé le projet. Les canons ont été envoyés à l’Ukraine.
Ce précédent inquiète Prague. Car si le CAESAR 6×6 a déjà été livré à plus de dix pays sans incident, la version 8×8 reste un développement récent, conçu spécifiquement pour répondre aux exigences danoises et tchèques. Et c’est bien là le cœur du problème : un système sur-mesure, encore instable.
Voici une comparaison synthétique entre les deux modèles :
Critère | CAESAR 6×6 | CAESAR 8×8 |
---|---|---|
Portée max (standard) | 40 km | 40 km (non atteints en test) |
Intégration OTAN | Oui (tests validés) | Non (données manquantes) |
Équipage | 5 | 3 à 5 |
Poids | 18 tonnes | 30 tonnes |
Vitesse max | 90 km/h | 100 km/h |
Nombre de pays utilisateurs | 12+ | 2 (commandes récentes) |
Une interopérabilité encore théorique
L’un des arguments majeurs pour l’achat du CAESAR 8×8 était son intégration dans les réseaux de commandement alliés. Or cette promesse repose sur un écosystème technologique qui n’a pas encore fonctionné en République tchèque.
Le système Adler III, fourni par la firme allemande ESG, nécessite des données précises pour intégrer chaque pièce d’artillerie. Sans courbes balistiques, sans fichiers de calibration, sans informations sur la munition et la température du canon, le système ne peut ni calculer, ni ajuster, ni tirer en sécurité.
La situation devient ubuesque : les obusiers sont livrés mais inutilisables. Le dialogue entre canon, obus et logiciel de tir est bloqué. La chaîne de feu est rompue.
Un risque industriel et politique pour la France
Pour Nexter, filiale du groupe franco-allemand KNDS, l’affaire est sensible. Le CAESAR 8×8 est l’un des fleurons de son catalogue. Une rupture de contrat avec Prague serait un revers sérieux sur le marché européen, au moment où d’autres pays – Belgique, Lituanie, Espagne – envisagent d’en faire l’acquisition.
L’entreprise peut difficilement se permettre un échec industriel sur un produit aussi exposé. D’autant que les tensions en Europe ont relancé la course aux équipements militaires. La compétition est rude, les délais raccourcis, et les exigences accrues.
En cas de suspension définitive des paiements par Prague, c’est toute la crédibilité du programme qui pourrait être remise en question.
Une sortie de crise encore incertaine
KNDS a reçu la lettre. Elle devra répondre rapidement. Selon nos sources, une réunion technique est prévue dans les jours à venir entre les ingénieurs tchèques, les représentants de Nexter, et les coordinateurs du ministère. Objectif : remettre les pendules à l’heure.
Plusieurs pistes sont à l’étude :
- Livrer d’urgence les données balistiques manquantes
- Mettre à jour le logiciel Adler III pour compenser les écarts
- Modifier le profil de munition ou tester un lot alternatif
- Revoir les délais de livraison et envisager une compensation financière
La balle est désormais dans le camp de Nexter. Le CAESAR 8×8 était censé devenir le pilier de l’artillerie tchèque pour les décennies à venir. Pour l’instant, il reste à quai. Et avec lui, l’image d’une coopération industrielle franco-tchèque en suspens.
Les canons CEASAR à travers le monde
Pays | Version | Quantité commandée | État des livraisons | Remarques |
---|---|---|---|---|
France | 6×6 & 8×8 | 109 | Livrés / En service | 32 unités supplémentaires commandées en 2024 |
Ukraine | 6×6 & 8×8 | 55+ | Livrés | Dons et reventes depuis France, Danemark, etc. |
Arabie saoudite | 6×6 | 132 | Livrés | Programme conclu fin des années 2010 |
Indonésie | 6×6 | 55 | Livrés | Intégration progressive dans l’armée de terre |
Danemark | 8×8 | 19 | Commandés puis transférés à l’Ukraine | Contrat résilié en 2023 |
Belgique | 8×8 | 28 | Commandés | Livraisons attendues à partir de 2027 |
Lituanie | 6×6 | 18 | Commandés | Contrat signé en décembre 2022 |
République tchèque | 8×8 | 62 | En litige / Livraisons suspendues | Lettre de menace de non-paiement envoyée en juillet 2025 |
Maroc | 6×6 | 36 | Commandés | Accord signé en 2020, livraisons discrètes |
Thaïlande | 6×6 | 6 | Livrés | Utilisation dans les forces terrestres royales |
Source : https://www.novinky.cz/clanek/domaci-obrana-hrozi-francouzum-ze-zastavi-platby-za-problematicka-dela-caesar-40530868