C’est une silhouette étrange qui a surgi sur le pont du Haiyangshan.
Un canon qui ne fume pas, qui ne tonne pas, mais dont le projectile file à plus de 8 600 km/h.
Ce n’est pas de la science-fiction. C’est un canon rail électromagnétique, et les ingénieurs chinois viennent peut-être d’en décupler la puissance grâce à une idée aussi simple que radicale : doubler la machine. L’arme s’annonce silencieuse, fulgurante, et potentiellement dévastatrice.
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Un rêve d’arsenal électromagnétique à portée de main pour la Chine
Le rail gun, c’est un rêve militaire qui obsède les ingénieurs depuis des décennies. Plus de poudre, plus d’explosif. Un projectile lancé à Mach 7 par la seule force de champs magnétiques. Une tige métallique qui traverse l’air à une vitesse telle qu’elle devient une flèche invisible, capable de percer un blindage ou de pulvériser une cible en mer.
Dans les années 2010, les États-Unis avaient ouvert la voie. Puis, à force de budgets dévorés et de matériaux détruits par l’intensité des tirs, ils ont abandonné. La Chine, elle, n’a jamais cessé d’expérimenter. En 2018, son premier prototype est monté à bord du Haiyangshan, un navire de débarquement de la classe Type 072III. Le monde militaire en reste bouche bée.
Mais l’arme souffre d’un problème fondamental : trop de puissance tue la puissance. Les rails fondent. Les composants s’arrachent. Le métal chauffe au point de devenir liquide. Résultat : une cadence de tir ridicule, des dégâts limités, et une portée très en deçà des attentes.
Un X pour changer les règles du jeu
Pour contourner cet obstacle, un groupe de chercheurs de l’armée chinoise, mené par le professeur Lyu Qingao de l’Université d’ingénierie militaire de Shijiazhuang, propose une architecture inattendue : deux canons électromagnétiques empilés dans un tube en croix, comme les branches d’un X.
L’idée est simple et redoutable : au lieu de surcharger un seul jeu de rails avec des courants extrêmes, on en installe deux, indépendants, qui fonctionnent en parallèle. Chacun dispose de son propre circuit électrique, de sa propre paire de rails, de son propre U-armature (le conducteur mobile qui propulse le projectile).
La magie du dispositif repose sur une propriété de la physique : les champs magnétiques verticaux ne se perturbent pas mutuellement. C’est l’équivalent de deux moteurs de fusée allumés côte à côte : la poussée est doublée, sans conflit.
Voici la différence technique illustrée :
Caractéristique | Rail gun classique | Design en X (double rail gun) |
---|---|---|
Nombre de rails | 2 | 4 |
U-armature | 1 | 2 |
Indépendance des circuits | Non | Oui |
Vitesse maximale | Mach 7 | Mach 7 (visée) avec projectile plus lourd |
Poids du projectile | 15 kg | 60 kg |
Portée estimée | 150 km | 400 km |
De la théorie à l’impact
Dans les papiers, le rail gun X devrait être capable de lancer un obus de 60 kg à Mach 7, soit environ 8 600 km/h. À cette vitesse, la munition pourrait parcourir 400 km en moins de 6 minutes.
Cela signifie frapper un navire ou une base à une distance équivalente à Paris-Lille, sans avertissement, sans signature thermique, sans missile à intercepter. Une arme quasi silencieuse, quasi invisible, avec une vitesse d’impact dépassant Mach 4.
Une précision chirurgicale. Une puissance cinétique dévastatrice. Le tout sans explosif embarqué.
La Chine estime que cette nouvelle version surpasse de quatre fois les exigences actuelles de sa marine. Les performances attendues suggèrent un bond technologique qui, s’il est validé par les essais réels, redéfinira la notion de frappe navale à distance.
Les limites d’un canon encore théorique
Pourtant, il y a des doutes. Et les ingénieurs eux-mêmes les expriment.
Le principal ennemi du rail gun, ce n’est pas l’adversaire. C’est la physique. Lorsque deux circuits de forte intensité sont rapprochés, ils peuvent interférer entre eux. Ce qu’on appelle l’effet de proximité. Cela peut entraîner des décharges imprévues, des pertes d’énergie, des oscillations de courant.
Il reste aussi la question du refroidissement. Même divisée en deux circuits, la chaleur générée est colossale. À chaque tir, les rails doivent encaisser des pics de courant de plusieurs millions d’ampères. Une erreur, et c’est la vaporisation du système.
À ce jour, aucun essai en conditions réelles n’a été mené avec le design en X. Le brevet a été déposé, les calculs validés, mais le champ de tir reste vierge. Tant que l’engin n’a pas craché ses premiers obus, tout cela reste prometteur, mais théorique.
Une course mondiale au silence électromagnétique
La Chine n’est pas seule sur la ligne de départ. Les États-Unis, après avoir dépensé des milliards, ont suspendu leur programme en 2021. Le projet rail gun de l’US Navy, testé depuis le navire USS Millinocket, a été rangé dans les cartons. En cause : le coût, la maintenance, et la concurrence des missiles hypersoniques, plus flexibles.
Le Japon, plus discret, développe actuellement un prototype miniature embarqué, capable de tirer des projectiles de 300 grammes. Ce démonstrateur, malgré sa taille, explore les mêmes défis que les modèles lourds : matériaux résistants, gestion du champ magnétique, alimentation électrique embarquée.
Pendant ce temps, la Russie s’intéresse au sujet, sans publication connue. Israël, l’Europe, l’Inde aussi mènent des recherches, parfois dans des contextes universitaires.
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L’avenir : un canon dans l’ombre, prêt à surgir
Le rail gun chinois en X n’est pas encore opérationnel. Il n’est pas même encore testé. Mais il existe. Il est conçu. Il est prêt à être construit. C’est ce qui inquiète les états-majors.
S’il fonctionne, il pourrait apparaître du jour au lendemain sur un destroyer chinois, en mer de Chine, en mer de Sulu ou au large du détroit de Taïwan. Et là, il serait trop tard pour rattraper le retard.
Le futur de l’artillerie navale ne sentira plus la poudre. Il vibrera dans les champs électromagnétiques.
Et dans ce silence, ce sera la vitesse, la précision, l’anticipation qui feront la différence.