Apple sort les griffes : 500 millions pour garder les terres rares chez l’Oncle Sam.
Ne comptez plus sur Pékin pour vos aimants. Depuis la Silicon Valley, une marque à la pomme décide de faire cavalier seul dans un secteur minéral stratégique : les terres rares. Et pas pour les beaux yeux de l’écologie. Derrière ce virage industriel majeur, c’est une bataille géopolitique que mène Apple, au nom de la souveraineté technologique américaine.
En investissant 500 millions d’euros sur plusieurs années, le géant du numérique veut s’assurer un accès local, durable et exclusif aux aimants en néodyme, ces composants invisibles, mais omniprésents dans nos appareils connectés. Smartphones, MacBooks, écouteurs : ils ne vibreraient pas sans eux.
Alors que l’essentiel de ces matériaux vient encore de Chine, Apple et son nouveau partenaire MP Materials redessinent en silence la carte stratégique des aimants du futur.
Lire aussi :
- Le plus grand rival historique de la France se joint à elle pour construire ensemble l’avenir spatial européen avec une participation confirmée dans Eutelsat
- Les Etats-Unis trahis par leur meilleur allié qui entend profiter d’une « erreur américaine » pour se positionner sur le moteur du futur KF-21
L’eldorado du Texas pour les terres rares
À Fort Worth, au nord du Texas, le désert devient high-tech. MP Materials, entreprise californienne déjà connue pour l’exploitation du site de Mountain Pass, y installe de nouvelles lignes de production d’aimants. Ces lignes seront pensées exclusivement pour répondre aux besoins d’Apple.
Le site devrait être prêt à livrer dès 2027, avec pour objectif affiché de couvrir la demande mondiale en aimants pour les produits de la marque. Plusieurs dizaines d’emplois dans l’industrie de pointe sont prévus, ainsi qu’un programme de formation aux métiers de l’aimantation avancée.
Lieu | Type d’installation | Date de mise en service prévue | Impact |
---|---|---|---|
Fort Worth, Texas | Usine de production d’aimants en néodyme | 2027 | Fourniture mondiale pour Apple |
Mountain Pass, Californie | Centre de recyclage des terres rares | À confirmer | Réintégration des déchets électroniques |
Les volumes visés sont colossaux : de quoi équiper des centaines de millions d’appareils. Et le pari est clair : Apple veut rompre avec la dépendance asiatique. Un choix dicté autant par la géopolitique que par le marketing.
La boucle est bouclée
Recycler des terres rares, c’est un peu comme chercher de l’or dans une décharge. Coûteux, délicat, mais indispensable. C’est précisément ce que propose Apple à travers une nouvelle ligne de traitement à Mountain Pass, le seul site américain actuellement capable d’extraire ces matériaux.
L’objectif : réintroduire les métaux récupérés dans sa chaîne d’approvisionnement, sans compromis sur la qualité. Depuis 2019, l’iPhone 11 a inauguré l’usage de terres rares recyclées dans son système haptique. Depuis, Apple a généralisé la démarche : la quasi-totalité des aimants de ses produits sont aujourd’hui issus du recyclage.
Et pour que rien ne s’égare dans la chaîne, MP Materials et Apple développent une technologie propriétaire de tri et de traitement, testée depuis près de cinq ans.
Une industrie sous perfusion d’État
Derrière cette opération, l’État américain veille au grain. Le Département de la Défense a récemment pris une participation de 400 millions d’euros dans MP Materials. Il garantit même un prix plancher pour deux éléments indispensables : le néodyme et le praséodyme.
En clair, Washington parie gros sur cette filière pour réduire une dépendance stratégique vis-à-vis de la Chine. Et cela tombe bien : MP Materials est à ce jour la seule entreprise américaine à maîtriser toute la chaîne des terres rares, de la mine à l’aimant.
Photo : MP Materials.
Pourquoi les terres rares font trembler la planète
Petits volumes, effets géants. Les terres rares, bien qu’extrêmement dispersées dans la croûte terrestre, sont indispensables à la fabrication de moteurs électriques, d’éoliennes, de missiles, ou encore de composants audio.
La Chine contrôle aujourd’hui plus de 80 % du marché mondial, que ce soit en extraction ou en raffinage. Ce monopole a été largement consolidé depuis les années 2000, au point que les États-Unis et l’Union européenne se sont retrouvés pieds et poings liés lors de la guerre commerciale entamée en 2018.
Apple n’est pas seule à vouloir s’émanciper. En 2024, la société a déjà signé un accord stratégique avec l’entreprise minière d’État saoudienne Ma’aden, pour sécuriser l’accès aux métaux critiques. Une manière de diversifier ses sources, et de se protéger contre les hausses de prix ou les blocages douaniers.
Une vitrine industrielle et politique
En injectant 500 millions d’euros dans l’économie américaine, Apple soigne aussi son image. Le discours est bien rodé : souveraineté technologique, relocalisation, innovation responsable. Tim Cook, son PDG, évoque même un futur manufacturier américain inspiré, créatif et indépendant.
Ce narratif colle parfaitement aux priorités de l’administration Biden, qui veut accélérer la réindustrialisation des États-Unis. La promesse est claire : une Apple toujours aussi mondiale, mais dont les racines technologiques sont bien américaines.
En filigrane, l’entreprise tisse un message à peine voilé à ses concurrents chinois : les circuits courts ne sont pas uniquement écologiques. Ils peuvent devenir des armes économiques.
Derrière l’innovation, une course au pouvoir
Il y a dans cette initiative un parfum de guerre froide version XXIe siècle. Un affrontement sans missiles, mais avec des aimants. Car derrière chaque décision industrielle se cache une question simple : qui contrôle les ressources du futur ?
Apple, souvent perçue comme une entreprise de design et de logiciel, montre ici son visage stratégique. Celui d’un acteur qui ne veut plus dépendre de chaînes d’approvisionnement fragiles ou politiquement instables.
C’est peut-être là l’enseignement le plus frappant de cette annonce. Les géants du numérique ne se contentent plus de concevoir des puces. Ils veulent désormais maîtriser le minerai, le transformer, le recycler, et le défendre. Même s’il faut pour cela descendre à la mine.
Source : https://www.apple.com/newsroom/2025/07/apple-expands-us-supply-chain-with-500-million-usd-commitment
Image : vue aérienne de Mountain Pass, photographiée en 2024.
Crédit photo : MP Materials