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Il fut le « Concorde » des armes françaises : ultra abouti technologiquement mais invendable il a malheureusement marqué le déclin de l’industrie du fusil en France

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Guillaume Aigron

Guillaume Aigron

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FAMAS : le fusil qui a armé la France… avant de lui échapper. Il a accompagné les soldats français sur tous les théâtres d’opérations pendant quarante ans. Il a défilé …

Il fut le "Concorde" des armes françaises : ultra abouti technologiquement mais invendable il a malheureusement marqué le déclin de l'industrie du fusil en France

FAMAS : le fusil qui a armé la France… avant de lui échapper.

Il a accompagné les soldats français sur tous les théâtres d’opérations pendant quarante ans. Il a défilé sur les Champs-Élysées, traversé les sables du Sahel, affronté la neige afghane. Le FAMAS, fusil d’assaut né à Saint-Étienne, aurait pu incarner le renouveau d’une armurerie nationale.

Mais son histoire s’est refermée comme un couvercle : sans panache, sans exportation…Et sans relève. Comme le Concorde, c’est un chef-d’œuvre technique devenu un échec commercial. Et derrière cette fin discrète se cache un malaise plus profond : celui d’une souveraineté qui s’est effrité avec la fin d’un savoir-faire ancestrale.

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Le FAMAS, dernier sursaut d’orgueil d’une filière historique française de l’armement

Au milieu des années 1970, la France militaire cherche un souffle nouveau. L’heure n’est plus au MAS 49/56, hérité d’un autre temps. Le monde passe au calibre 5,56 mm OTAN. Il faut suivre le mouvement, mais avec la touche française. Alors, dans les ateliers de la Manufacture d’armes de Saint-Étienne, un projet prend forme.

Ce sera un fusil court, nerveux, compact, avec un design audacieux. Le chargeur n’est plus devant, mais derrière la poignée. Une configuration « bullpup », inédite pour l’époque, qui intrigue autant qu’elle séduit. Le FAMAS, Fusil d’Assaut de la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne — voit le jour. Une arme de 76 centimètres pour 3,8 kilos à vide, au style tranchant, presque futuriste.

À sa sortie, le FAMAS en impose. Il tire vite, très vite : jusqu’à 1 100 coups par minute. Il est précis, robuste, fiable. En France, on l’adopte sans hésiter. À l’étranger, on regarde… sans acheter.

Une arme de guerre… et de parade

Pendant plus de quarante ans, les soldats français n’ont connu que lui. De la Bosnie à l’Afghanistan, du Liban à l’opération Barkhane, le FAMAS a tout vu. Il a traversé les conflits, les embuscades, les patrouilles, les heures d’ennui et les tirs nourris. C’est avec lui qu’on formait les appelés, puis les engagés. C’est avec lui qu’on partait en opex, le cœur serré et le sac lourd.

Il est aussi devenu un objet d’image. Sur les affiches de recrutement, dans les cérémonies officielles, les mains gantées des soldats le brandissaient comme un symbole. Le 14 juillet, il défile. Dans les écoles militaires, il s’aligne. Il devient presque une silhouette familière, reconnaissable entre toutes.

Pourtant, derrière l’image, la mécanique s’enraye. Lentement mais inexorablement.

Le FAMAS peut tirer  jusqu’à 1 100 coups par minute.
Le FAMAS peut tirer jusqu’à 1 100 coups par minute.

La lente descente aux enfers

Le monde change, les armes évoluent. Le FAMAS, lui, reste le même. Pas de rail standardisé pour y fixer des accessoires. Pas de compatibilité avec certains chargeurs OTAN, pas de modularité et surtout, plus de soutien industriel : la Manufacture d’armes de Saint-Étienne ferme ses portes en 2002.

Alors, les soldats bricolent. On s’adapte avec des systèmes D, on colle des rails, on ajuste des pièces et on fait durer. Malheureusement sur le terrain, les limites apparaissent. Trop fragiles pour certains environnements, trop lourds pour d’autres, les vieux fusils fatiguent.

En 2014, l’État lance un programme ambitieux : équiper les forces françaises de 90 000 nouveaux fusils d’assaut. L’objectif est clair, le besoin urgent. Ce qui n’était pas prévu, c’est que la France… Ne se choisirait pas.

Une gifle industrielle

L’appel d’offres fait figure d’électrochoc. Verney-Carron, dernier acteur historique de l’armurerie nationale, tente le coup. Il s’associe. Il présente un prototype. Il y croit. Mais le verdict tombe : le marché va à Heckler & Koch, fabricant allemand. Le modèle choisi ? Le HK416F. Fiable, moderne, déjà éprouvé.

La France, patrie du FAMAS, ne produira plus ses propres fusils d’assaut.

C’est plus qu’une décision technique. C’est un aveu. Celui d’une filière abandonnée, d’un savoir-faire dissous, d’un écosystème démantelé. Il ne restait que des souvenirs, des anciens, et quelques machines. Pas de quoi rivaliser avec les géants allemands ou italiens.

Le contrat est estimé à plus de 400 millions d’euros. Aucun centime ne restera dans l’Hexagone.

L’exemple qui dérange

Cette histoire, les stratèges la connaissent bien. Ils la racontent dans les colloques, la citent dans les notes confidentielles. Le FAMAS est devenu un cas d’école. Une démonstration que, même pour un fusil, l’indépendance ne va plus de soi.

En temps de paix, la dépendance industrielle paraît acceptable. En temps de crise, elle devient un boulet. Que se passerait-il si les relations diplomatiques avec l’Allemagne se détérioraient ? Si l’Autriche décidait un embargo ? Si les chaînes d’approvisionnement venaient à se figer ?

Les fantômes du Concorde

Le parallèle avec le Concorde saute malheureusement aux yeux dans le cas du FAMAS. Là aussi, une technologie de pointe. Là aussi, une prouesse admirée. Et là encore, une incapacité à convaincre le marché, à durer, à s’adapter.

Le FAMAS aurait pu connaître une autre vie : modernisation, relance, série export. Rien de tout cela n’a eu lieu. À l’image du supersonique, il s’est envolé dans la gloire, pour s’écraser dans l’oubli.

Aujourd’hui, dans certains dépôts, il traîne encore. Des lots de FAMAS sont stockés, parfois donnés à des pays alliés, parfois revendus. D’autres, plus rares, sont conservés précieusement, comme pièces de collection.

Il arrive même qu’on le ressorte pour les défilés. Histoire de faire bonne figure. De rappeler qu’un jour, la France faisait ses propres armes.

Chronologie de la disparition d’un fleuron

Année Événement
1973 Lancement du programme de fusil d’assaut à la MAS
1978 Entrée en service du FAMAS F1
2002 Fermeture de la Manufacture d’armes de Saint-Étienne
2014 Lancement de l’appel d’offres pour remplacer le FAMAS
2016 Choix du HK416F allemand
2021 Fin de la distribution des FAMAS dans l’armée régulière

 

Verney-Carron, dernier espoir fragile de conserver un fabriquant de fusil d’assaut français

Le 11 février 2025, une dernière mauvaise nouvelle tombe : Verney-Carron, dernier symbole de l’industrie du fusil d’assaut français, est en cessation de paiements. Quelques jours plus tard, le tribunal de commerce de Saint-Étienne ouvre une procédure de redressement judiciaire. Dans la cité qui fut le berceau de l’armurerie française, c’est un coup dur. L’entreprise, malgré son contrat de 36 millions d’euros signé en 2023 pour fournir des armes à l’Ukraine,10 000 fusils d’assaut, 2 000 fusils de précision et 400 lance-grenades, affiche une perte de 4,54 millions d’euros en 2023.

Deux offres fermes émergent : l’une du géant belge FN Browning, l’autre portée par un binôme inattendu mais localement ancré : l’entreprise Rivolier, distributeur stéphanois historique et le groupe tchèque RSBC, propriétaire notamment de Steyr et Arex. Deux autres propositions plus modestes complètent le tableau. L’enjeu n’est pas qu’industriel, il est patrimonial, presque affectif. Il s’agit de maintenir une flamme. Un geste.

Le 4 mai 2025, le tribunal tranche. Verney-Carron sera reprise par l’alliance Rivolier–RSBC. Sur les 66 salariés, 55 conserveront leur poste. Un compromis fragile, mais une bouée tendue. La France perd peut-être le FAMAS, mais elle sauve une parcelle de son indépendance armurière. À Saint-Étienne, on remonte les manches.

Le combat continue et avec lui, peut-être, l’idée qu’un fusil, aussi modeste soit-il, peut encore être fabriqué là où l’histoire a commencé.

Source :

  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Verney-Carron
  • https://opexnews.fr/declin-armurerie-francaise-verney-carron/
  • https://www.ege.fr/infoguerre/2015/11/le-remplacement-du-famas-un-cas-d%25e2%2580%2599ecole-de-dependance-a-risque

Image : Bâtiment dit « de l’Horloge », bureaux de l’ ancienne Manufacture Nationale d’ Armes, dite «La Manu». de Saint-Etienne

À propos de l'auteur, Guillaume Aigron