Comment le Royaume-Uni relance la course aux sous-marins.
Alors que la géopolitique mondiale s’assombrit, un chantier titanesque vient de débuter dans les chantiers navals britanniques. À Londres, à Derby, à Barrow-in-Furness, les premières pièces d’un monstre d’acier ont commencé à prendre forme. Un sous-marin d’un genre nouveau, un fleuron de technologie conçu pour dominer les abysses. Son nom : SSN-AUKUS.
Son objectif : replacer le Royaume-Uni au sommet des puissances sous-marines occidentales.
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la Royal Navy n’a rien perdu de sa superbe avec le SSN-AUKUS
Les ateliers de Babcock, industriel de la défense bien connu au Royaume-Uni, ont reçu l’ordre de passer à l’action. Leur mission : construire les premiers composants du futur sous-marin d’attaque nucléaire SSN-AUKUS, en coopération avec les États-Unis et l’Australie. Ce programme est le bras armé du pacte AUKUS, signé en 2021 pour contrer les ambitions chinoises dans l’Indo-Pacifique.
Ce sous-marin est appelé à remplacer les unités de la classe Astute à partir de la fin des années 2030. Jusqu’à 12 navires pourraient être produits, sur une cadence d’un nouveau bâtiment tous les 18 mois.
Le projet mobilise non seulement les chantiers de construction, mais aussi toute la filière industrielle du nucléaire militaire : métallurgie spécialisée, ingénierie navale, électronique embarquée et armement conventionnel.
Une architecture nouvelle pensée pour durer
Le SSN-AUKUS n’est pas un simple clone des sous-marins précédents. Ce sera un modèle hybride, combinant les expertises britanniques et américaines. Il intégrera notamment une coque intégrée à tubes de lancement multiple, issue des travaux réalisés sur les classes Dreadnought (Royaume-Uni) et Columbia (États-Unis). Babcock a d’ailleurs déjà signé un contrat de 36 tubes lance-missiles avec General Dynamics Electric Boat.
Par ailleurs, le système de lancement d’armes et de gestion des torpilles est en phase de commande anticipée (appelé Long Lead Items), ce qui signifie que les composants les plus complexes sont déjà en fabrication pour éviter toute rupture logistique future.
Ces bâtiments seront propulsés à l’énergie nucléaire, mais dotés d’un armement uniquement conventionnel. Une nuance stratégique : leur mission n’est pas la dissuasion nucléaire mais bien l’attaque, l’espionnage et la projection de puissance.
Un investissement massif à plusieurs étages
Ce programme s’inscrit dans une politique plus large de réarmement britannique. Le gouvernement a d’ores et déjà validé un investissement de 15 milliards de livres sterling, soit environ 17,7 milliards d’euros, dans son programme de modernisation des ogives et des plateformes associées.
À ce montant s’ajoutent les investissements dans les sites industriels de Raynesway (Derby) et Barrow-in-Furness, pour augmenter la capacité de production de sous-marins et répondre à une exigence : pouvoir livrer un sous-marin prêt à l’emploi tous les 540 jours.
Les retombées économiques sont attendues à tous les niveaux : emploi industriel, relocalisation d’activités stratégiques et montée en compétence de toute une génération de techniciens.
Un virage stratégique dans l’ombre du Brexit
Depuis la sortie de l’Union européenne, le Royaume-Uni cherche à redéfinir son rôle militaire. Le SSN-AUKUS devient alors un outil politique autant que militaire. Il marque une volonté de s’aligner avec les États-Unis et de renforcer un axe anglo-saxon dans la défense mondiale.
La participation de l’Australie au programme n’est pas anecdotique. Elle incarne le pivot indo-pacifique des puissances occidentales. Si tout se passe comme prévu, les premiers sous-marins australiens seront livrés dans les années 2040, avec une partie de leur production localisée à Adélaïde.
Ce projet est donc autant un symbole d’autonomie stratégique post-Brexit qu’un signal envoyé à Pékin et Moscou. Londres se veut à nouveau acteur global, capable de projeter sa flotte à des milliers de kilomètres de ses bases.
Une filière entière sous pression technologique
Pour mener à bien ce programme, l’industrie navale britannique doit retrouver une capacité qu’elle n’a plus pratiquée à grande échelle depuis la guerre froide. Produire un sous-marin nucléaire n’a rien d’anodin : cela nécessite des années de formation, des matériaux extrêmement rares, et une coordination sans faille entre plusieurs dizaines d’entreprises.
Voici quelques-unes des entreprises impliquées dans le programme SSN-AUKUS :
- Babcock International : gestion des systèmes de lancement, intégration des coques à tubes
- Rolls-Royce Submarines : réacteurs nucléaires de propulsion
- BAE Systems : conception générale, chantier naval de Barrow
- Thales UK : capteurs acoustiques et guerre électronique
- General Dynamics : tubes de lancement fournis depuis les États-Unis
Chaque sous-marin mesurera environ 97 mètres de long, pour un diamètre de 11 mètres et un déplacement supérieur à 7 800 tonnes en plongée.
Une ambition militaire remise à flot
La construction de ces sous-marins marque un retour à une logique de guerre navale à haute intensité. Alors que les conflits en Ukraine ou en mer de Chine montrent l’importance du fond des océans dans le rapport de force mondial, le Royaume-Uni remet les moyens là où cela compte : dans des plateformes furtives, endurantes, capables de frapper à longue distance ou de surveiller les lignes ennemies en toute discrétion.
Les prochaines années verront donc émerger une flotte plus nombreuse, plus sophistiquée et surtout pensée pour agir dans un monde instable.
Sous-marin | Pays constructeur | Déplacement (tonnes) | Longueur (m) | Propulsion |
---|---|---|---|---|
SSN-AUKUS | Royaume-Uni | 7 800+ | 97 | Nucléaire |
Astute | Royaume-Uni | 7 400 | 97 | Nucléaire |
Columbia | États-Unis | 20 800 | 171 | Nucléaire |
Barracuda (Suffren) | France | 5 300 | 99 | Nucléaire |
Yasen-M | Russie | 13 800 | 139 | Nucléaire |
Ce tableau montre que le SSN-AUKUS ne sera pas le plus imposant, mais qu’il visera la polyvalence, la furtivité et une production accélérée. Un pari risqué, mais assumé.
Source : https://www.babcockinternational.com/wp-content/uploads/2025/06/Babcock-FY25-statement-25.06.25.pdf
Image : Le HMS Ambush (classe Astute que la classe SSN-AUKUS va remplacer) en décembre 2012.