Le monstre de l’Atlantique : dans les entrailles du Jacques Stosskopf, colosse logistique de la Marine française.
Le 20 juin 2025, la France a lancé un géant d’acier long comme presque deux pâtés de maison. Son nom : Jacques Stosskopf. Ce navire discret par son rôle mais redoutable par ses capacités est le second d’une série de quatre bâtiments ravitailleurs, conçus pour soutenir, sans relâche, les missions de la Marine nationale, loin, très loin des côtes françaises.
À Saint-Nazaire, la cérémonie était solennelle. Quelques mots, un lever de drapeau, un regard vers la mer. Derrière les sourires des ingénieurs, des marins, des officiels, se cache une prouesse technologique franco-européenne qui s’appuie sur des décennies de savoir-faire industriel et militaire.
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Jacques Stosskopf, un colosse de 31 000 tonnes pour ravitailler la flotte française
Il faut d’abord rappeler qui était Jacques Stosskopf. Résistant français et ingénieur naval, il fut exécuté par les nazis en 1944 pour avoir transmis des informations aux Alliés. Lui dédier un bâtiment militaire, c’est lui redonner voix et honneur au cœur d’un programme stratégique.
Ce second bâtiment ravitailleur du programme FlotLog (pour « flotte logistique ») a officiellement intégré les rangs de la Marine lors de cette levée des couleurs. Claire Stosskopf, petite-fille du héros, en est désormais la marraine.
Le programme FlotLog est conduit sous la houlette de l’OCCAR (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement), avec une production franco-italienne qui conjugue les expertises de Naval Group et des Chantiers de l’Atlantique.
Une machine d’endurance indispensable à la logistique de la Marine nationale
Long de 194 mètres et large de 27,60 mètres, le Jacques Stosskopf déplace à pleine charge jusqu’à 31 000 tonnes. Il peut emporter 13 000 mètres cubes de carburant, répartis entre gasoil et carburéacteur. À pleine capacité, cela équivaut à près de 90 000 barils !
Grâce à ses quatre postes de ravitaillement, il peut ravitailler deux navires simultanément, avec un débit pouvant atteindre 1 200 tonnes par heure.
Deux mâts de ravitaillement supportant 2,5 tonnes chacun assurent l’approvisionnement en munitions, pièces de rechange et vivres. On parle ici de conteneurs entiers suspendus entre deux navires à pleine mer.
Essais en mer et futur déploiement
Mis à l’eau en août 2024, le Stosskopf a déjà entamé ses premiers essais en mer au printemps 2025. Ceux-ci se sont déroulés sans incident majeur.
Son départ pour Brest est prévu le 27 juin. Il poursuivra ses essais avant de rallier Toulon, son port d’attache. Sa livraison définitive à la Marine est attendue en fin d’année.
Un enseignement fondamental a été tiré du premier navire de la série, le Jacques Chevallier, livré en 2023. Les ajustements opérés sur le Stosskopf montrent une évolution constante de la conception.
Une coopération sous haute tension
Le programme FlotLog est le fruit d’un partenariat industriel où chaque acteur a son rôle :
Chantiers de l’Atlantique :
- conception de la coque
- construction des zones de vie
- installation des systèmes de ravitaillement
- assemblage général
Naval Group :
- développement des systèmes militaires
- système de combat
- équipements pour hélicoptères
- gestion des munitions
Ce partage des tâches permet de mutualiser les compétences civiles et militaires, tout en respectant les exigences de la Direction générale de l’armement (DGA).
Défense et autonomie
Le Jacques Stosskopf n’est pas un navire de combat, mais il sait se défendre. Son système de combat embarqué assure une protection contre les menaces de proximité, comme les embarcations rapides, les drones armés ou les attaques de type asymétrique.
Sa capacité à opérer de façon autonome, loin de toute base, en fait un pilier discret mais indispensable dans les missions de projection de la Marine française. Il permet au groupe aéronaval, composé notamment du porte-avions Charles de Gaulle, de tenir la mer pendant des semaines sans retour à quai.
Caractéristiques détaillées
Voici les caractéristiques techniques du Jacques Stosskopf :
Élément | Valeur |
---|---|
Déplacement à pleine charge | 31 000 tonnes |
Longueur hors tout | 194 mètres |
Largeur hors tout | 27,60 mètres |
Capacité en carburant | 13 000 m³ |
Débit de ravitaillement | 1 200 tonnes/heure |
Équipage | 140 membres |
Capacité passagers | 60 personnes |
Puissance installée | 24 MW |
Ce monstre marin est également conçu pour durer : il s’inscrit dans la stratégie de long terme de la Marine nationale, visant à renforcer ses capacités de projection sur les théâtres éloignés.
Une course à l’endurance navale
À l’heure où les tensions s’intensifient en Méditerranée, dans l’Indo-Pacifique ou en mer de Chine, la France entend disposer d’une flotte capable de tenir le choc, sans dépendance immédiate aux bases.
Cette logique logistique s’inscrit aussi dans un rapport de forces mondial :
Armée / Marine | Effectifs militaires (approx.) | Nombre de ravitailleurs | Taille de la flotte (navires de combat) | Budget défense (milliards USD) |
---|---|---|---|---|
États-Unis (US Navy) | ~330 000 (marine active) | ~30-33 navires : pétroliers classe John Lewis (T-AO), classe Lewis and Clark (T-AKE), drones MQ-25 en déploiement | ~290 navires (11 porte-avions, 68 sous-marins, destroyers, croiseurs) | ~842 (total défense 2024), ~150 pour la marine |
Chine (Marine PLA) | Estimé >250 000 | Plusieurs pétroliers-ravitailleurs modernes en augmentation, capacité croissante pour soutenir porte-avions et groupes navals | ~370-400 navires (porte-avions, destroyers, sous-marins) | ~225 (total défense 2024), marine ~56-75 (25-33% du budget) |
Royaume-Uni (Royal Navy) | ~30 000 | 4 pétroliers de classe Tide récents, capacité ~17 000 tonnes de carburant | ~70 navires (2 porte-avions, destroyers, frégates, sous-marins) | ~55 (total défense 2024) |
France (Marine nationale) | ~36 000 | 2 pétroliers-ravitailleurs classe Durance + 4 nouveaux BRF (FLOTLOG) en cours de livraison, capacité carburant 13 000 m³ | ~80 navires (1 porte-avions, sous-marins nucléaires, frégates, destroyers) | ~50 (total défense |
La France n’égalera jamais le volume américain ou chinois, mais mise sur l’efficacité, la qualité de ses équipages, et l’endurance de ses plateformes. Le Jacques Stosskopf en est l’illustration parfaite : discret, massif, indispensable. Rappelons que la flotte française a parmi les plus grands taux de disponibilité du monde avec 80% contre à peine 43% pour sa rivale de toujours : la Royal Navy.
Sources : Ministère des Armées, DGA, OCCAR, Naval Group, Chantiers de l’Atlantique.
Image : Le pétrolier Jacques Chevallier (même classe FLOTLOG que le Jacques Stosskopf) dans le port de Toulon