Le monstre d’acier chinois qui pourrait changer les règles du jeu en mer de Chine.
Il ne s’agit plus de simples manœuvres navales ou d’une montée progressive en puissance, Pékin semble désormais faire quasiment jeu égal avec son plus grand rival : Washington. Avec le porte-avions Fujian, la marine chinoise ne veut plus rattraper son retard, elle entend dicter le tempo.
Une stratégie qui évoque des souvenirs d’un autre temps, mais avec une technologie que même l’oncle Sam ne peut ignorer.
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Le Fujian : Un bébé de 80 000 tonnes prêt à faire trembler les Etats-Unis
Dans la baie de Shanghai, le mastodonte de 80 000 tonnes glisse désormais en silence. Le Fujian (du nom d’une province chinoise), troisième porte-avions chinois, est en phase d’intégration finale. Ce navire n’a pas hérité d’une technologie importée, comme le Liaoning ou le Shandong. Il a été conçu, dessiné, assemblé en Chine, et surtout équipé d’un système de lancement électromagnétique, inédit pour une marine non américaine.
Cette innovation change tout. Contrairement aux rampes inclinées classiques, ce dispositif permet de catapulter des avions à pleine charge, rapidement, et en continu. Ce qui rend possible une manœuvre bien connue des stratèges américains : la frappe en meute.
Le terme exact employé par la marine chinoise est “attaque de pont chargé” : une offensive éclair où un grand nombre d’avions décollent en rafale pour saturer les défenses adverses. Un effet de choc, pensé pour désorganiser, frapper vite et marquer l’esprit de l’ennemi dès les premières minutes.
Un rappel des frappes Alpha dans les années 60
Ce genre de tactique n’est pas une nouveauté historique. Les Alpha Strikes, mis en œuvre par l’US Navy durant la guerre du Vietnam, visaient à submerger les défenses nord-vietnamiennes par des vagues massives de bombardiers et de chasseurs. Chaque offensive mobilisait parfois la moitié du parc aérien d’un porte-avions.
Pour le Fujian, c’est cette logique qui est reprise. Le pont d’envol est conçu pour accueillir jusqu’à 60 aéronefs, répartis entre avions de chasse, drones et avions de surveillance. L’objectif : décoller une trentaine d’unités en moins de quinze minutes. Une capacité qui n’était encore, il y a dix ans, qu’un rêve lointain pour la marine chinoise.
Capacités estimées du Fujian (comparatif)
Élément | Fujian | Charles-de-Gaulle | USS Gerald R. Ford |
---|---|---|---|
Déplacement (à pleine charge) | 80 000 tonnes | 42 000 tonnes | 100 000 tonnes |
Nombre estimé d’aéronefs | 60 | 40 | 75 |
Système de lancement | Électromagnétique | Catapulte à vapeur | Électromagnétique |
Équipage total | 3 000 marins | 1 950 marins | 4 500 marins |
Une technologie encore en rodage
Le système EMALS du Fujian a déjà été testé lors de plusieurs essais en mer depuis mai 2024. Les images diffusées par la télévision centrale chinoise montrent des chasseurs J-15 décollant à pleine charge, sans besoin de rampe inclinée. Une première pour Pékin.
Ces essais ne sont pas de simples démonstrations techniques. Ils servent à tester la coordination entre les systèmes embarqués : catapultes, radars, contrôle aérien, défense rapprochée, maintenance rapide. Chaque lancement simultané exige un haut degré de synchronisation.
Le capitaine Cao Weidong, commentateur militaire pour CCTV, l’a affirmé sans détour : “Si l’équipage parvient à reproduire en situation réelle les performances obtenues à l’entraînement, alors ce porte-avions pourra atteindre son plein potentiel.”
Le concept du « premier coup »
L’avantage principal de ces frappes de masse est stratégique. Elles permettent, dans une zone contestée comme le détroit de Taïwan, d’imposer dès l’ouverture des hostilités une dissuasion active. Cela revient à capter l’initiative, à voir l’ennemi avant qu’il ne vous voie, et à le frapper avant qu’il n’agisse.
Ce concept, désigné en doctrine navale par les termes “first detection, first strike”, est au cœur des simulations menées à bord du Fujian. Pour y parvenir, le navire devra non seulement lancer vite, mais aussi être capable de récupérer ses appareils en vol, parfois endommagés, sans rompre la cadence.
Une manœuvre exigeante, qui suppose que tout l’équipage passe en mode “poste de combat général” (état d’alerte maximal). Dans cette configuration, chaque fonction à bord est mobilisée. Le bâtiment progresse face au vent, à vitesse stabilisée, pour offrir la meilleure piste de récupération possible.
Un trio qui change la donne
Avec l’arrivée du Fujian, la marine de l’Armée populaire de libération disposera de trois porte-avions en service. Le Liaoning, dérivé d’un ancien modèle soviétique, sert d’unité école. Le Shandong, version optimisée de ce dernier, assure les premières patrouilles en mer de Chine méridionale.
Le Fujian, lui, devient le fleuron du dispositif.
À cela s’ajoute une flotte d’escorte composée de destroyers Type 055, de frégates furtives Type 054A, et de sous-marins nucléaires d’attaque. L’ensemble forme une task force capable de s’éloigner des côtes, de patrouiller dans les zones contestées, et de soutenir des opérations amphibies.
La composition typique d’un groupe aéronaval chinois pourrait ressembler à ceci :
- 1 porte-avions (Fujian)
- 2 destroyers Type 055 (13 000 tonnes chacun)
- 2 frégates Type 054A
- 1 sous-marin d’attaque nucléaire
- 1 navire logistique de soutien
Un ensemble qui n’a plus à rougir face aux formations américaines, du moins sur le plan quantitatif.
Une démonstration à l’adresse de Washington
Les Alpha Strikes ne sont pas qu’une option militaire. Ce sont aussi des messages politiques. Le fait que Pékin évoque désormais publiquement cette capacité, jusque-là réservée à la Navy américaine, en dit long sur l’ambition portée par ses chantiers navals.
Cette posture s’inscrit dans un contexte de tensions accrues : manœuvres autour des Spratleys, survols fréquents de l’espace aérien taïwanais, et multiplication des exercices conjoints avec la Russie. Chaque essai du Fujian est filmé, documenté, diffusé en boucle. L’objectif est aussi de convaincre les partenaires asiatiques que le rapport de forces a changé.
Washington, de son côté, observe avec attention. Les satellites américains ont repéré les dernières phases de tests du système EMALS, mais sans pouvoir en évaluer la fiabilité à long terme. L’évaluation reste en cours. Le Pentagone, lui, continue d’afficher une supériorité technologique… mais jusqu’à quand ?
Deux géants face à face sur les océans
Derrière le bruit des turbines et les silhouettes d’acier, c’est une lutte d’influence navale qui se joue. La Chine ne prétend plus simplement rattraper la première puissance mondiale, elle veut rivaliser, au moins numériquement. L’US Navy conserve l’avantage sur plusieurs fronts : propulsion nucléaire, expérience du combat réel, réseau mondial de bases. Pourtant, Pékin avance à grande vitesse. Depuis 2015, la marine de l’Armée populaire de libération (PLAN) a doublé la taille de sa flotte de surface. En 2023, elle est officiellement devenue la plus grande au monde en nombre de bâtiments.
Voici un tableau comparatif actualisé des deux plus grandes marines militaires :
Critère | Chine (PLAN) | États-Unis (US Navy) |
---|---|---|
Nombre total de navires militaires | 370 unités | 293 unités |
Nombre de porte-avions opérationnels | 3 (dont 0 nucléaire) | 11 (tous nucléaires) |
Destroyers | 45 (dont 8 Type 055) | 92 (classe Arleigh Burke et Zumwalt) |
Frégates | 54 Type 054A | 20 (principalement classe Perry) |
Sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) | 6 estimés | 53 |
Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) | 6 (classe Jin) | 14 (classe Ohio) |
Navires amphibies | 40 (incluant les LPD et LHD) | 33 (classe Wasp et America) |
Effectifs navals estimés | 250 000 militaires | 340 000 marins et officiers |
Base de déploiement principale | Qingdao, Hainan, Djibouti | San Diego, Norfolk, Guam, 11 bases étrangères |
Portée opérationnelle | Régionale (Pacifique ouest) | Globale (océans Atlantique, Pacifique, Indien) |
Budget naval estimé (2025) | 58 milliards d’euros | 174 milliards d’euros |
En matière de nombre pur, Pékin prend l’ascendant. En matière de projection, Washington domine encore. Le cœur de la bataille se joue désormais sur l’autonomie en mer, la numérisation des systèmes embarqués, et la capacité à opérer loin de ses côtes. Trois critères qui feront, demain, toute la différence entre une flotte impressionnante et une puissance navale véritablement mondiale.
Source : Ministère de la Défense chinoise