Pékin brise les lignes : les deux porte-avions chinois franchissent le Rubicon du Pacifique.
C’est une image que les stratèges américains redoutaient depuis des années. Elle s’est matérialisée entre les 25 et 29 mai 2025, au cœur du Pacifique occidental. Deux groupes aéronavals chinois, ceux des CNS Liaoning et CNS Shandong, ont navigué de concert, loin de leurs côtes, à l’est de Taïwan, au sud du Japon. Une première. Officiellement, ils étaient là pour des exercices. Officieusement, ils viennent démontrer que la marine chinoise sait désormais frapper loin. Très loin.
À plus de 600 milles nautiques de Guam, au large de Minamitorishima et d’Okinotorishima, les deux bâtiments amiraux de la marine chinoise ont brisé ce que les géopoliticiens appellent « la deuxième chaîne d’îles ». Une ligne invisible qui, jusqu’ici, séparait la sphère d’influence américaine de l’extension navale chinoise.
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Deux flottes jumelles aux portes du Japon
Le 25 mai 2025, le CNS Liaoning franchit le détroit de Miyako, flanqué de six bâtiments de guerre : deux destroyers Type 055, deux destroyers Type 052D, une frégate Type 054A et deux navires logistiques de classe Type 901 et 903A. Il longe alors l’archipel nippon pour atteindre l’espace économique exclusif japonais, sans jamais pénétrer ses eaux territoriales.
Au même moment, son jumeau, le CNS Shandong, traverse le détroit de Luçon escorté par une force équivalente : un destroyer Type 055, un Type 052D, deux frégates Type 054A, et un navire de soutien rapide. Direction : Okinotorishima, un atoll japonais perdu au milieu du Pacifique.
Les deux groupes, bien que séparés de plusieurs centaines de kilomètres, agissent comme une seule et même entité. Une coordination minutieuse. Et un signal limpide envoyé à Tokyo, Manille et Washington.
Des opérations aéronavales à très haute intensité
Entre le 25 et le 29 mai, 260 décollages et appontages sont enregistrés autour du Liaoning, impliquant des chasseurs J-15 et des hélicoptères de lutte anti-sous-marine. Le groupe aérien embarqué multiplie les rotations au-dessus des eaux proches du Japon, de Taïwan et des Philippines.
Les satellites civils capturent une scène rare : le navire logistique Hulunhu ravitaille le Liaoning en mer, à pleine vitesse, au sud-est des îles Ryūkyū. Les forces japonaises envoient alors plusieurs navires de surface et font décoller leurs F-15 et F-35 pour suivre la manœuvre pas à pas.
Du côté du Shandong, les images confirment également des opérations aériennes soutenues. Des rotations de chasseurs, des patrouilles de surveillance, et des exercices de manœuvres avec les frégates escortes dans une zone pourtant très surveillée par les radars américains.
Groupe aéronaval | Navires accompagnateurs | Zone d’opération | Nombre de vols (25-29 mai) |
---|---|---|---|
CNS Liaoning | 2 Type 055, 2 Type 052D, 1 Type 054A, 2 logistiques | Au nord-est de Guam | 260 |
CNS Shandong | 1 Type 055, 1 Type 052D, 2 Type 054A, 1 logistique | Sud d’Okinotorishima | Environ 150 (estimation) |
Le vrai message : briser l’endiguement américain
Cette démonstration de force intervient alors que deux porte-avions américains, les USS Nimitz et George Washington, croisent eux aussi dans la région. Une situation inédite, qui ravive les tensions en mer de Chine.
Depuis des décennies, Washington fonde sa stratégie sur une série d’« îles chaînes », vestige de la guerre froide : la première passe par Taïwan, les Philippines, le sud du Japon ; la deuxième court jusqu’à Guam, et la troisième s’étend jusqu’à Hawaii.
Or Pékin vient de franchir la deuxième, à double porte-avions, en toute autonomie logistique. Cette avancée s’est appuyée sur des navires de soutien Type 901 et 903A, capables de fournir carburant, munitions, pièces de rechange, directement en pleine mer. Un saut qualitatif majeur.
Des exercices simulant un blocus de Taïwan
L’opération n’est pas isolée. Depuis avril 2025, le Shandong multiplie les manœuvres agressives. Lors de l’exercice Strait Thunder 2025A, il s’approche à moins de 45 kilomètres des côtes taïwanaises. Il est alors escorté par une flotte imposante, incluant :
- le destroyer Type 055 Xianyang
- les destroyers Type 052D Zhanjiang et Huainan
- 4 frégates Type 054A
- 1 navire logistique Type 901
Les forces aériennes engagées combinent avions embarqués (J-15, J-15D), chasseurs de supériorité (J-16, Su-30MKK), bombardiers H-6K et plateformes radar volantes KJ-500. Des simulations de frappes sur des ports, des dépôts de carburant et des centres de contrôle aérien sont menées par la brigade 613 du corps des fusées, qui tire 16 missiles Dongfeng-15B. La 72e brigade d’artillerie ajoute à cela des salves de PCL-191, visant des infrastructures critiques.
Un troisième colosse sur les flots : le CNS Fujian
Au même moment, dans les chantiers de Shanghai, un géant prend vie. Le CNS Fujian, troisième porte-avions chinois, a réalisé son premier catapultage électromagnétique d’un chasseur furtif J-35 en mars 2025.
Le Fujian, c’est un changement d’échelle. Avec plus de 85 000 tonnes de déplacement, trois catapultes électromagnétiques, une propulsion électrique intégrée, il peut accueillir :
- 48 avions (J-35, J-15, KJ-600, GJ-11)
- des drones de combat
- des AWACS embarqués
D’ici 2030, la Chine espère aligner jusqu’à 100 chasseurs furtifs embarqués, en adaptant ses anciens porte-avions à recevoir le J-35 malgré leurs tremplins inclinés.
6/7、中国海軍クズネツォフ級空母「山東」を含む複数隻の中国海軍艦艇が、太平洋の海域において航行していることを確認しました。また6/9、艦載戦闘機等の発着艦を確認しました。#防衛省・自衛隊 は、引き続き #警戒監視・情報収集 を実施します。https://t.co/T0Z9JhLGFG pic.twitter.com/SJXGu42Mb0
— 防衛省統合幕僚監部 (@jointstaffpa) June 9, 2025
La réponse américaine : forteresse de Guam et guerre dans la “zone grise”
Face à cette montée en puissance, les États-Unis accélèrent la militarisation de Guam. 16 sites de défense antimissile doivent être opérationnels d’ici 2035. Le système Aegis Guam, confié à Lockheed Martin, prévoit :
- un radar TPY-6
- des missiles SM-3 et SM-6
- des lanceurs verticaux MK-41
En parallèle, les Marines américains ont déployé, dès mai 2025, leurs batteries NMESIS aux îles Batanes. Une simulation d’interdiction de voie maritime a été menée alors qu’un porte-avions chinois traversait le détroit de Luçon.
La stratégie américaine s’oriente vers ce que le Pentagone appelle la « kill web » : relier capteurs, satellites, drones, missiles et avions dans un réseau fluide capable de frapper n’importe où, à tout moment.
Le théâtre du Pacifique, autrefois dominé par l’US Navy, devient désormais un espace contesté. Deux porte-avions chinois à l’est de Taïwan, c’est un symbole. Une répétition. Et peut-être, un prélude.
Source : Ministère de la Défense chinoise