L’armée américaine veut envoyer ses colis dans l’espace à des vitesses hypersoniques.
D’ici 2026, l’armée des États-Unis pourrait utiliser des fusées commerciales pour expédier du matériel militaire à l’autre bout du monde en moins d’une heure. Le programme, tout droit sorti d’un film de S-F de série B est pourtant bien réel.
Le lanceur existe. Et les ambitions, elles, dépassent largement la simple livraison de caisses. L’enjeu serait de redéfinir les règles de la logistique militaire à l’ère de l’orbite basse.
Derrière cette idée, un nom : Neutron. Une fusée réutilisable conçue par une entreprise privée, dans le cadre d’un projet aussi audacieux que discret.
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Une livraison qui tombe du ciel avec la fusée Neutron
C’est le genre d’annonce qui passe souvent inaperçue dans le brouhaha technologique. Le laboratoire de recherche de l’US Air Force vient de confirmer sa collaboration avec l’entreprise néo-zélandaise Rocket Lab pour une mission baptisée « Rocket Cargo » et une idée « pas piquée des hannetons » (comme disait ma grand-mère) : envoyer dans l’espace une charge utile de 13 000 kilogrammes avant de la faire redescendre, rapidement, précisément, n’importe où sur Terre.
Ce projet n’en est encore qu’à ses balbutiements mais il a déjà un objectif : tester la « résilience » d’un tel système, dans un contexte militaire. En clair, voir si des cargaisons sensibles peuvent être larguées depuis l’espace sans être détruites… ni interceptées.
Neutron, le cheval de Troie de la logistique orbitale
Le véhicule choisi pour cette expérimentation n’est pas « n’importe quelle » fusée. Il s’agit du Neutron, un lanceur de nouvelle génération développé par Rocket Lab. Capable d’atteindre l’orbite basse terrestre avec une charge utile de 13 tonnes, il a été conçu pour desservir aussi bien des missions de sécurité nationale que des lancements commerciaux ou scientifiques.
La particularité de Neutron, c’est sa capacité à être réutiliser à l’instar de SpaceX. Contrairement aux fusées traditionnelles, elle est pensée pour être récupérée. Et même mieux : sa plateforme d’atterrissage sera une barge en mer, spécialement aménagée et surnommée « Return on Investment » (retour sur investissement… tout un programme).
À terme, Neutron devra déposer des satellites, livrer du fret stratégique, et même, pourquoi pas, évacuer du matériel sensible de zones de conflit.
Un projet flou, mais des ambitions très concrètes
Aucun chiffre officiel n’a encore filtré sur le montant du contrat entre Rocket Lab et le département de la Défense américain. Le calendrier reste lui aussi incertain. La première mission est prévue pour « 2026 ou plus tard ». Quant aux objectifs exacts, ils oscillent entre expérimentation technique et démonstration politique.
Mais certains indices permettent de mesurer l’ampleur du pari :
Paramètre | Valeur |
---|---|
Charge utile visée | 13 000 kilogrammes |
Vitesse estimée de livraison | Moins d’une heure (point à point) |
Coût global du programme NSSL (incluant d’autres missions) | 5,2 milliards d’euros |
Nombre de missions prévues | Au moins 30 |
L’idée est simple : utiliser l’espace comme raccourci logistique, en court-circuitant les réseaux terrestres et maritimes. Plus besoin d’un avion-cargo stationné à 4 000 kilomètres du front. On lance, on redescend, et la livraison est là. Reste à savoir si les objets livrés, eux, arriveront entiers !
Les géants de l’espace dans la ligne de mire
Derrière cette expérimentation, un autre jeu se dessine. Rocket Lab n’est plus un petit outsider. En mars 2025, l’entreprise a été sélectionnée pour participer aux appels d’offres du programme National Security Space Launch (NSSL), un dispositif stratégique géré par l’U.S. Space Force.
Elle se retrouve désormais en compétition avec des poids lourds : SpaceX, Blue Origin, United Launch Alliance… et une autre start-up ambitieuse, Stoke Space.
Ce cercle restreint d’industriels se disputera une trentaine de missions d’ici la fin de la décennie. Autant dire que Neutron, plus qu’un transporteur orbital, devient une carte maîtresse dans une guerre technologique et diplomatique silencieuse.
Les risques d’une livraison supersonique
Si la perspective d’envoyer une cargaison militaire en orbite avant de la faire tomber à 28 000 km/h sur un théâtre d’opérations fait rêver certains généraux, elle inquiète tout autant. Les implications géopolitiques sont évidentes : qu’est-ce qui distingue un missile de transport d’un missile d’attaque ? Une étiquette sur la boîte ?
Les ingénieurs répondent par des chiffres, des trajectoires, des délais de réentrée. Les diplomates, eux, redoutent les malentendus. Un lancement orbital peut être mal interprété, surtout s’il vise une région tendue.
Et puis il y a la fiabilité : même si la fusée atterrit, qu’en est-il du contenu ? Comment garantir l’intégrité d’un système optique, d’une ration militaire, ou pire : de matériel médical, soumis à des forces extrêmes lors du freinage atmosphérique ?
We’ve signed a launch contract on Neutron with the @AFResearchLab to test point-to-point global cargo delivery.
AFRL’s payload will be launched on Neutron and return to Earth in a demonstration of re-entry capability for future missions.
Launching NET 2026. Full details:… pic.twitter.com/GtZDtOuTWn
— Rocket Lab (@RocketLab) May 8, 2025
Une livraison, ou une démonstration de force ?
Derrière les discours sur la logistique, c’est bien la projection de puissance qui se profile. En maîtrisant la livraison orbitale, les États-Unis ne visent pas seulement l’efficacité. Ils affirment une suprématie technologique et une capacité de réaction instantanée, même dans les recoins les plus inaccessibles du globe.
Neutron pourrait devenir un outil de guerre psychologique autant que logistique.
Un message adressé à Pékin, Moscou, ou Téhéran : « Nous pouvons être là, où nous voulons, quand nous voulons. »
Image : Fusée Neutron (Rocket Lab)