Pas de canon qui tonne. Pas de blindé qui fend la plaine. Et pourtant, c’est bien un chantier militaire d’envergure continentale qui vient d’être lancé. Son nom : FMBTech. Sa promesse : faire naître les technologies qui équiperont le char de combat européen de demain. Financé à hauteur de 19 millions d’euros, soutenu par 13 États membres et la Norvège, ce projet incarne un virage stratégique majeur pour l’Union européenne.
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Une Europe qui pense enfin en bloc
Longtemps, la coopération militaire européenne s’est heurtée à des lenteurs politiques, à des divergences doctrinales, à des calendriers discordants. Mais avec FMBTech, un cap semble franchi. Thales, en chef d’orchestre, a réussi à fédérer un consortium de 26 entités issues de 14 pays.
Voici la composition du consortium :
Pays | Participants majeurs |
France | Thales, Arquus, MBDA, KNDS, Safran, Hensoldt France |
Italie | Thales Italia, Politecnico di Milano, CY4Gate |
Allemagne | Scertas GmbH |
Pologne | OBRUM, WAT, WITPiS |
Finlande | Environics, VTT, Savox |
Espagne | GMV Aerospace & Defence |
Slovaquie | MSM Land Systems |
Grèce | Eight Bells Hellas |
Chypre | Skyld, Vetronics Research Centre |
Irlande | ISD Aerospace |
Norvège | Sopra Steria AS |
Slovénie | Guardiaris |
République tchèque | VVU SP |
Belgique | C&V Consulting |
Un projet aussi vaste ne vise pas un modèle unique, mais une architecture modulaire qui pourra s’adapter aux besoins nationaux comme aux contraintes du terrain.
De nouvelles briques pour un vieux colosse
Le char n’est pas mort, malgré ce que certains ont pu prédire. Il évolue. Il se fragmente. Il se connecte. Et c’est bien là le cœur de FMBTech : transformer le char de combat en un système souple, agile, piloté par l’information autant que par la puissance de feu.
Le projet ambitionne de développer des « briques technologiques », c’est-à-dire des modules autonomes intégrables selon les missions :
- Poste de pilotage numérisé avec réalité augmentée
- Bouclier actif électronique contre les missiles antichars
- IA embarquée pour la détection de menaces en temps réel
- Capteurs multispectraux interopérables
- Système d’autodiagnostic de l’état mécanique
- Interface de communication entre unités terrestres et aériennes
L’objectif n’est pas de produire un char miracle, mais un ensemble de solutions pouvant équiper les flottes existantes (Leclerc, Leopard 2, CV90…) tout en servant de base à un programme commun de char européen.
Trois ans pour rattraper une décennie
Le programme, financé à travers l’édition 2023 du Fonds européen de la défense, court sur trois années. C’est peu. Et c’est beaucoup. Car il ne s’agit pas ici de livrer un prototype finalisé, mais de définir un socle technologique partagé, un langage commun, une vision de l’avenir des blindés.
Ce rythme soutenu vise un double objectif : combler le retard européen face aux États-Unis et à la Chine, et faire émerger une autonomie stratégique durable dans le domaine terrestre.
Une réponse aux menaces hybrides
Les conflits récents l’ont montré : les blindés lourds sont vulnérables, isolés, désignés comme cibles prioritaires. Mais correctement appuyés, interconnectés, équipés de contre-mesures intelligentes, ils redeviennent des atouts.
FMBTech se concentre précisément sur ces aspects. La « guerre hybride » — mélange d’opérations classiques, cyber, psychologiques, et drones autonomes — impose des véhicules plus réactifs, plus silencieux, plus difficiles à neutraliser. Il ne s’agit plus seulement de tirer, mais de survivre dans un environnement saturé de menaces invisibles.
Le projet entend ainsi renforcer :
- L’adaptabilité en environnement urbain et forestier
- La coordination en temps réel avec l’artillerie et les drones
- L’autonomie logistique en zone contestée
- La résilience des systèmes de communication
Une vitrine pour l’industrie européenne
Au-delà de l’innovation militaire, FMBTech est une opération politique. Une démonstration de ce que l’Europe peut produire ensemble quand elle mutualise ses moyens. Chaque pays membre y trouve une opportunité de valoriser ses savoir-faire, d’intégrer ses PME, d’ouvrir ses chaînes de production à l’export.
Voici quelques domaines couverts par les partenaires :
- Simulation et réalité virtuelle : Slovénie, Finlande, Chypre
- Cybersécurité et systèmes embarqués : Italie, France
- Blindage et survivabilité : Pologne, Allemagne
- Commandement et IA : France, Grèce, Belgique
- Communication interplateforme : Norvège, Espagne
Cette dynamique pourrait inspirer d’autres projets structurants, y compris dans le spatial, le cyber ou la défense antimissile.
Une ambition européenne qui ne se cache plus
Avec FMBTech, l’Union européenne affirme un choix clair : celui de l’autonomie technologique militaire. Dans un contexte de tensions croissantes à ses frontières, de dépendances encore fortes vis-à-vis des États-Unis, et de concurrence féroce avec les puissances émergentes, elle pose les bases d’une industrie de défense cohérente, adaptable et interopérable.
Et si le char de demain ne ressemblera plus à celui d’hier, il aura une certitude : ses circuits, ses capteurs et ses logiciels parleront d’une seule voix. Celle d’une Europe qui, enfin, commence à se défendre par elle-même.
Source : Communiqué de presse de Thales